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peuple remplacée par la souveraineté de la commune ; enfin tout le dévergondage intellectuel d’un peuple jeune, inexpérimenté, et longtemps entravé dans la légitime manifestation de ses vœux. En présence de ce mouvement révolutionnaire, la tâche du gouvernement nouveau était des plus difficiles. Ce fut au milieu d’une sorte de fièvre, que se formèrent les assemblées électorales et que se discuta la constitution de 1844. Bien que le parlement haïtien comptât dans son sein quelques esprits distingués, la loi nouvelle porta en grande partie l’empreinte de l’exaltation du moment, et, quand Hérard voulut résister, on le vit impitoyablement chassé du pays qui l’avait proclamé son libérateur. Ce fut le dernier triomphe de la démocratie. Depuis Hérard, les émotions de la guerre civile ont dominé les questions de principes. Néanmoins, la tendance démocratique frappera encore long-temps d’impuissance les hommes appelés à organiser dans ce pays la société civile et politique. Il y a chez le peuple haïtien assez de force et de raideur maladive pour rendre désormais impossible l’établissement d’un despotisme brutal, pas assez d’intelligence et de véritable énergie pour s’élever à l’existence régulière d’une nation. Cette situation déplorable n’est point particulière d’ailleurs à la république haïtienne. La fièvre démocratique y semble une funeste émanation qui lui arrive de ce beau continent de l’Amérique du Sud, vaste foyer de révolutions, où depuis vingt ans l’anarchie a commis tous les excès et revêtu toutes les formes. L’expérience ne nous apprend-elle pas en effet que, si la démocratie pure peut être le principe gouvernemental des nations arrivées à cette plénitude de force qui est comme la maturité de leur vie, elle est à la fois la ruine des peuples vieillis et le fléau des états naissans ? Quel contraste entre la fédération anglo-américaine du nord entrant dans le mouvement politique du monde, lorsqu’elle a eu emprunté à sa métropole tous les élémens qui constituent les sociétés fortement organisées, et ces républiques espagnoles dont l’éclosion prématurée n’a enfanté jusqu’ici que des luttes infécondes ! S’il est incontestable qu’une révolution ne peut réussir qu’en venant à son heure, on peut ajouter que de toutes les révolutions aucune n’a plus besoin d’opportunité que celle qui détache une colonie de sa métropole.

Le débordement de la démocratie n’est pas, nous l’avons dit, le seul obstacle que le gouvernement haïtien ait à surmonter. A côté de cette cause de perturbation commune à toutes les sociétés prématurément émancipées, il en est une plus grave encore et plus redoutable : c’est l’antagonisme des races. L’anarchie ne cessera définitivement que quand la race supérieure par l’intelligence aura pris le dessus, et pourra gouverner au lieu de lutter. La question de race se lie étroitement ainsi à la question politique.

C’est encore un fait douteux pour quelques personnes, nous le savons, que l’aptitude gouvernementale de la race mulâtre. Les chefs noirs ont de fervens admirateurs, entre autres un écrivain, partisan déclaré de la race africaine, et qui s’exprime à ce sujet avec une singulière énergie. S’il faut l’en