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radicalisme. Impôts outrés sur le luxe, suppression des titres de noblesse, dénigrement maladroit et gratuit des idées aristocratiques, tel était son thème favori. Le clergé n’avait pas manqué de rapprocher ces déclamations du silence calculé de la presse doctrinaire, taxant ce silence de complicité, et se posant, lui qui devait tout à la prépondérance de l’élément plébéien, comme le champion né des hautes classes contre la coalition libérale, devenue purement et simplement le parti des jacobins. La noblesse avait pris facilement le change, et, l’esprit de contrefaçon aidant, on avait vu se reproduire en Belgique la piquante comédie de nos bourgeois gentilshommes, affectant des sympathies clérico-légitimistes pour se faire suspecter d’aristocratie.

Ce fut alors que M. Nothomb pris, avec le portefeuille de l’intérieur, la direction d’une combinaison nouvelle, dont tous les membres, excepté lui, appartenaient à la majorité catholique. La plus grande part d’influence, celle qu’assuraient le talent et la position, revenait, dans le nouveau cabinet, au représentant de la minorité déchue. Un pareil choix, en face d’une réaction parlementaire qui semblait plus que jamais subordonner la couronne aux exigences du parti clérical, était assez significatif. Le roi se sentait débordé par les catholiques, et il comprenait désormais la nécessité de les contenir. La satisfaction n’était cependant qu’apparente ; en réalité, c’était le clergé qui avait renversé le ministère, et qui dominait ses successeurs. Impuissant à résister aux catholiques, qui le maîtrisaient par le sénat, M. Nothomb était condamné d’avance à la nécessité d’agir contre son propre parti, tout en tâchant d’éviter les compromis qui lui enlèveraient la possibilité d’une réconciliation. Orateur souple et conciliant, prônant à tout propos les nécessités pour se faire pardonner d’avance l’abandon des principes, sceptique jusqu’au dédain de soi-même, possédant à fond ce que j’appellerai les lieux communs, la petite monnaie du machiavélisme parlementaire, M. Nothomb offrait l’ensemble de talens et de faiblesses nécessaire pour éluder les dangers de ce rôle, et pour en subir de bonne grace, sans lassitude et sans murmures les inévitables déconvenues.

Ainsi, les premières tentatives de cette union si redoutée entre les deux nuances libérales n’avaient servi qu’à compléter la prépondérance parlementaire du parti catholique, en lui ralliant le sénat. Les premières résistances de la couronne n’aboutissaient qu’à abriter l’autre théocratique sous un prête-nom libéral. Au plus grave péril qu’eussent couru les catholiques depuis 1830 correspondait leur plus éclatant succès ; mais ce succès lui-même allait devenir l’occasion de