Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/747

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait démêlé la vérité au milieu de tout ce chaos, et compris le drame sanglant qui s’était joué durant son absence. Il avait conçu une haine implacable contre l’aventurier maudit, cause première de tous ces malheurs : haine silencieuse et cachée comme celle de tous les Indiens, qui attendait patiemment le moment de la vengeance, et n’osait point le hâter pour être plus sûre de le saisir. Dyce, de son côté, n’avait point oublié l’aventure du rang-mahal, quand il avait failli périr sous le poignard de Raja-Ram : il en conservait un ressentiment profond, quoique déguisé ; mais il savait, à n’en pas douter, que Raja-Ram s’abstenait de toute intrigue directe ou indirecte contre son influence. C’était plutôt l’austérité et la profonde mélancolie de sa vie retirée, le regret avec lequel il quittait quelques instans sa solitude, seulement sur l’ordre de la reine, c’était son silence même qui le rendait dangereux pour Dyce, car la reine prenait quelquefois l’Anglais en horreur, quand elle comparait son ingratitude, son égoïsme et son imperturbable insouciance, avec le regret muet, mais passionné, de l’Indien.

Une pareille situation semblait ne pouvoir se prolonger beaucoup ; le moindre incident pouvait, en provoquant une vive secousse, briser le lien qui retenait malgré elle une nature aussi énergique que celle de la begom, et amener une dernière et terrible catastrophe. Cet incident se fit attendre long-temps, et pendant dix années Dyce put administrer presque despotiquement les affaires de la begom. Durant toute cette période, la reine n’avait éprouvé aucun désastre, n’avait été vaincue dans aucune guerre, elle n’avait signé que des traités de paix et de commerce, et pourtant son étoile avait pâli, sa gloire s’était éclipsée. Si l’état de Sardannah occupait encore sur la carte de l’Inde la même place qu’autrefois, comprise dans les mêmes limites, il avait disparu du théâtre de la politique orientale. A cinquante lieues de la frontière, on ignorait son existence. La puissance anglaise, en grandissant tout autour, l’avait étouffé, et Dyce, en pesant sur ce royaume affaibli avec cette énergie envahissante qui caractérise le génie britannique, en avait su faire une dépendance de la compagnie. La reine n’était pas insensible à cette chute humiliante : elle avait mesuré malgré elle la hauteur d’où elle était descendue, elle frémissait quelquefois d’indignation et pleurait sur l’avenir de son peuple ; mais elle aimait encore : elle ne pouvait secouer le joug de ce fatal étranger ; elle était retenue par les doubles liens d’amante et de mère.

Un jour devait venir cependant où elle retrouverait sa vieille énergie, où elle ferait entendre encore une fois le cri de la lionne : ce fut