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de pâturage aux lamas et au bétail introduit par les colons européens. Là où le rocher nu de trachyte perce le gazon et s’élève dans des couches d’air qu’on croit moins chargées d’acide carbonique, les plantes seules d’une organisation inférieure, des lichens, des lécidées et la poussière colorée du lepraria se développent par taches orbiculaires. Des îlots de neige fraîchement tombée, variables de forme et d’étendue, arrêtent les derniers et faibles développemens de la vie végétale. À ces îlots sporadiques succèdent les neiges éternelles. Elles ont une hauteur constante et facile à déterminer, à cause de la très petite oscillation qu’éprouve leur limite inférieure. Les forces élastiques qui résident dans l’intérieur de notre globe travaillent, et le plus souvent en vain, à briser ces cloches ou dômes arrondis, qui, resplendissant de la blancheur des neiges éternelles, surmontent l’épine des Cordilières. Là où les forces souterraines ont réussi, soit par des cratères circulaires, soit par de longues crevasses, à ouvrir des communications permanentes avec l’atmosphère, elles produisent rarement des courans de laves, le plus souvent des scories enflammées, des vapeurs d’eau et de soufre hydraté, des mofettes d’acide carbonique.

Un spectacle si grandiose et si imposant n’a pu faire naître chez les habitans des tropiques, dans le premier état d’une civilisation naissante, qu’un sentiment vague d’étonnement et de frayeur. On aurait dû supposer peut-être que le retour périodique des mêmes phénomènes et le mode uniforme d’après lequel ils se groupent par zones superposées auraient facilité à l’homme la connaissance des lois de la nature ; mais, aussi loin que remontent la tradition et l’histoire, nous ne trouvons pas que ces avantages aient été mis à profit dans ces heureux climats. Des recherches récentes ont rendu très douteux que le siège primitif de la civilisation des Hindous, une des phases les plus merveilleuses des progrès de l’humanité, ait été entre les tropiques même. Airyana Vaedjo, l’antique berceau du Zend, était placé au nord-ouest du Haut-Indus, et après le grand schisme religieux, c’est-à-dire après la séparation des Iraniens d’avec l’institut brahmanique, la langue jadis commune aux Iraniens et aux Hindous a pris, chez ces derniers (en même temps que la littérature, les mœurs et l’état de la société), une forme individuelle dans le Magadha ou Madhya Dêça, contrée limitée par la grande Cordilière de l’Himalaya et la petite chaîne Vindhya. En des temps bien postérieurs, la langue et la civilisation sanscrites se sont même avancées vers le sud-est, et ont pénétré beaucoup plus avant dans la zone torride, comme mon frère