Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/815

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rejoindre, à quelques lieues au-delà d’Orsova, près d’un hameau du nom de Drencova, le bateau à vapeur de Semlin.

Durant ce petit voyage, la colère étouffa malheureusement en moi toute curiosité archéologique, et je le regrette, car plusieurs points de la route méritaient la plus sérieuse attention : d’abord la voie ouverte par Trajan au milieu des rochers qui bordent la rive droite du Danube, rochers énormes, sur lesquels on lit encore, m’a-t-on dit, cette inscription qui semble un défi jeté par le passé aux siècles futurs : Hic transibat Trajanus ; puis les restes d’un pont de la même époque, détruit par le temps, et que le génie actuel n’a pas su reconstruire ; enfin, tout en face, sur la rive gauche, une caverne magnifique, que je visitai, et qui servit, dit-on, de refuge introuvable à trois cents Turcs, long-temps poursuivis en vain par l’armée hongroise. A Drencova, les bords du Danube sont encore fort pittoresques, les montagnes agrestes et sombres qui s’élèvent sur chaque rive sont du plus grand caractère. Plus loin, le pays s’aplatit, et le regard erre de nouveau sur des plaines jaunâtres et tristes, que m’ont rappelées depuis les bords trop vantés du Guadalquivir. Nous arrivâmes en deux jours à Semlin.

Ce qui donne, aux yeux du voyageur, de l’intérêt à Semlin, c’est il faut le dire, le voisinage de Belgrade, qui n’en est séparé, comme on sait, que par un bras du Danube. Semlin a huit ou dix mille habitans tout au plus, et rentre dans la catégorie des villes absolument européennes. Tout caractère oriental a disparu : les maisons ont des contrevents verts, et le plus intéressant établissement de la ville est une auberge passable dans laquelle le comfort anglais a été introduit par les courriers de la reine Victoria, qui attendent à Semlin la correspondance d’Orient. Presque en face de Semlin, Belgrade s’élève dans une jolie position ; la ville s’étend en amphithéâtre au pied de la forteresse ; elle est grande, fort peuplée, et, bien que le caractère européen apparaisse de tous côtés et de plus en plus, quelques minarets qui se dressent çà et là et les costumes variés des paysans annoncent la Turquie ou la rappellent. C’est à Belgrade que l’Orient expire. La ville est animée, commerçante, et l’industrie y prend chaque jour un développement remarquable[1]. Je n’y passai que peu d’heures,

  1. J’ai vu dernièrement une excellente et magnifique carte in-f° de Serbie, dressée, gravée et publiée cette année à Belgrade par Jean Bugarski, ingénieur. Le titre du coin de la carte est en français. Cette carte, merveilleusement gravée, contraste singulièrement avec celles du baron de Moltke, publiées tout récemment à Berlin, et qu’une exécution défectueuse rend presque illisibles.