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Ce n’est pourtant pas là le seul ni peut-être le plus grand avantage que leur intervention procure. Si les commerçans peuvent être considérés en ce sens comme les économes de l’industrie, ils en sont, à d’autres égards, les éclaireurs, les guides et les soutiens : ils sont l’œil de la production, dont ils éclairent la marche ; ils sont encore, s’il est permis de le dire, la providence du pays, auquel ils distribuent avec sagesse, intelligence et mesure ce que l’industrie proprement dite n’a fait que jeter sur le marché. Attentifs à découvrir les besoins et à les signaler, comme aussi à connaître et à utiliser toutes les ressources, ils rapprochent le producteur et le consommateur, montrant à celui-ci des ressources qu’il ignorait, ouvrant à celui-là des débouchés qu’il n’aurait pas trouvés lui-même. Ils font plus encore ; mais, pour nous en tenir à ce qui nous occupe en ce moment, c’est par eux surtout que le marché se nivelle et que l’égalité des prix se maintient dans les lieux et dans les temps.

Le propre du commerce, et surtout du commerce de spéculation, c’est d’acheter pour revendre, d’acheter quand la marchandise abonde et que les prix baissent, de revendre quand la pénurie se fait sentir et que les prix s’élèvent. — Trafic honteux ! œuvre improductive et immorale ! s’écrient quelques hommes ignorans. — Travail honorable ! œuvre éminemment utile et fécondante ! disent ceux qui ont pris la peine d’examiner. On a vu comment, sous un régime de restrictions, les bonnes et les mauvaises années, en se succédant tour à tour, ramènent à peu près périodiquement l’une après l’autre la disette, fléau du pays, ou la surabondance, occasion de ruine pour le cultivateur des chertés désolantes ou un excessif avilissement des prix. Supposez au contraire qu’au milieu de ce mouvement irrégulier des récoltes s’interposent quelques milliers de commerçans spéculateurs : à l’instant la situation change, et le mal, qui n’est pas, quoi qu’on en dise, irréparable, s’évanouit. Dans les années fertiles, ces économes prévoyans, séduits parle bas prix, attirent à eux et mettent en réserve pour d’autres temps une partie de la marchandise qui surabonde. Ont-ils quelques fonds disponibles, c’est à cela qu’ils les consacrent ; trouvent-ils quelque endroit vide dans leurs magasins, c’est de cette marchandise qu’ils le remplissent. Si en même temps l’exportation est permise, et elle doit l’être pour qu’un tel commerce ait lieu, favorisés qu’ils sont par le bas prix de la denrée, ils sondent tous les pays voisins pour y trouver des débouchés, ils tentent des expéditions lointaines, découvrent, s’il le faut, des consommateurs ignorés, poussent à la vente dans tous les coins du vaste marché qui leur est ouvert, et dégorgent