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à faire. Bien souvent les droits, même prohibitifs, qui frappent à l’importation les produits manufacturés, sont insignifians, inoffensifs, et n’empêchent pas que ces produits ne se maintiennent à l’intérieur à des prix comparativement très bas, la concurrence des nationaux remplaçant largement dans ce cas la concurrence absente de l’étranger. C’est ce qu’on remarque, par exemple, pour la plupart des produits des manufactures anglaises. Qu’importe à l’Angleterre que les tarifs de la douane établissent des droits de 30, de 40, de 50 pour 100 et plus sur les cotonnades, sur les lainages, sur les fils et les tissus de lin, sur les articles de quincaillerie et sur beaucoup d’autres marchandises ouvrées ? Ces droits sont pour ainsi dire nominaux ou purement comminatoires : ils sont de nul effet dans la pratique, car il est bien rare qu’on ait l’occasion de les appliquer ; ils n’empêchent pas que les produits désignés dans les tarifs ne soient dans le pays à plus bas prix qu’ailleurs, et que l’Angleterre ne soit en mesure d’en inonder au besoin tous les marchés du monde. Il n’en est pas ainsi des produits du sol. A cet égard, aucun droit prohibitif ou seulement restrictif ne passe inaperçu, aucun ne peut être établi impunément. Il en résulte toujours, sur la denrée que la loi protège, une hausse factice, et cela s’applique d’ailleurs à tous les produits du sol, quels qu’ils soient, bien qu’à vrai dire l’application soit plus directe et plus sûre quant au plus important des produits du sol, les céréales, dont la valeur influe toujours plus ou moins sur la valeur de tous les autres. C’est que l’industrie agricole est à cet égard dans une situation particulière, exceptionnelle, où la concurrence intérieure est inefficace quand on écarte la concurrence du dehors. Cette situation n’est pas, du reste, sans analogue dans notre état social : elle peut se comparer assez exactement à celle de toutes les professions dont l’exercice a été, par un motif quelconque, limité par la loi, comme, par exemple, celle des courtiers ou agens de change, des notaires, des avoués, des huissiers, ou même, dans quelques-unes de nos grandes villes, des boulangers ou des bouchers. Tout le monde sait que les hommes attachés à ces professions font payer cher leurs services. Par une conséquence du monopole plus ou moins rigoureux que la loi établit en leur faveur, on y voit toujours les prix s’élever au-dessus de la juste mesure, quoi que puissent faire les règlemens publics pour en modérer l’excès. Il en est de même pour l’industrie agricole et par une raison semblable. Aussi est-ce une vérité constatée par une expérience invariable, que, partout où l’importation des produits du sol est ou entravée ou interdite, malgré les inégalités inévitables qu’on