d’esprit dans le détail, d’un tour heureux dans la versification, de ressources fréquentes dans le dialogue ; mais les caractères d’une part, et de l’autre la contexture même de la pièce, font défaut. Ce qu’on attendait de M. Émile Augier à sa seconde pièce est ajourné à une troisième ; rien n’est gagné, rien non plus n’est perdu.
On se demande d’abord ce que l’auteur a voulu en retraçant son principal caractère, et l’on ne sait trop que répondre. Qu’est-ce en effet que son homme de bien, son M. Féline ? Est-ce un homme à la fois cauteleux et sincère, qui se fait illusion à lui-même jusqu’à un certain point, et qui trouve moyen de satisfaire ses passions, ses cupidités et ses avarices, à la sourdine, et sans se dire tout bas ses propres vérités ? ou bien n’est-ce qu’un hypocrite, un tartufe au petit pied, qui ne veut rien après tout que soigner sa réputation et faire illusion aux autres ? On est tenté de croire que c’est le premier caractère que M. Féline nous représente, et c’est le seul qui aurait quelque originalité ; mais un tel caractère est-il bien naturel, bien réel en l’approfondissant, et soutient-il l’examen ? Est-il surtout bien propre au théâtre, et prête-t-il à la comédie ? Y a-t-il bien de l’à-propos enfin à venir nous peindre un tel homme en ce moment ? On a beau s’autoriser de ces anciens exemples si célèbres dans l’histoire de la comédie de caractère, le Méchant, le Métromane, le Glorieux ; il y a toujours eu quelque à-propos de circonstance et de société, plus ou moins fugitif, dans ces grands succès d’autrefois qui nous paraissent de loin avoir porté sur des caractères un peu abstraits. Gresset, Piron et Destouches ne se sont point proposé des sujets de pure invention et comme en l’air ; ils ont eu en vue, même dans ces portraits généraux, quelque travers, quelque ridicule, qui passait alors non loin d’eux à portée du rire. En peut-il être ainsi aujourd’hui de M. Féline ? Est-ce là, de près ou de loin, un ridicule, un vice du jour ? S’inquiète-t-on bien d’être en règle avec sa conscience, de se croire en sûreté de ce côté-là ? Se soucie-t-on seulement d’être tant soit peu en règle à l’égard des autres, et se donne-t-on quelque peine pour les abuser ? Il me semble qu’on n’en est guère là, et l’on aurait chance bien plutôt de peindre avec vérité un homme résolu à tout, déterminé à faire fortune, à se conquérir un nom, un état, une influence, une considération presque, ou du moins tout ce qui en tient lieu socialement et la représente, et cela en envoyant promener sa conscience et même le respect humain, mais en osant, en voulant fortement, en s’imposant. Un pareil caractère serait peut-être moins comique qu’odieux ; il serait vrai du moins quant aux mœurs du jour, tandis que ce M. Féline vient on ne sait d’où et ne va à rien. Il est, dans tous les cas, d’un ordre inférieur, il est bas ; il n’intéresse ni ne fait rire à aucun moment ; c’est un piètre casuiste qui ne saurait se duper lui-même, à moins d’être par trop sot. On l’a entendu à peine qu’on se prend à désirer (Dieu me pardonne !) que la menace de sa femme à son égard s’accomplisse et qu’il soit trompé par elle comme il le mérite ; et il le sera, j’en réponds, le jour où elle trouvera quelqu’un d’un peu plus consistant qu’Octave. Celui-ci est un triste caractère aussi ; il a beau se dire :