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Sorbonne une série de leçons sur Lucile aussi délicates que piquantes. L’histoire de la poésie latine devra beaucoup au cours à la fois savant et attique que professe depuis tant d’années M. Patin ; mais il serait bien désirable que le souvenir en fût fixé autrement que par le profit qu’en peuvent tirer, comme nous l’allons faire aujourd’hui, certains auditeurs d’autrefois. Puis vinrent divers autres essais spéciaux : une restitution par le même M. Varges du voyage au promontoire de Scylla que Lucile avait mis en vers ; un travail analogue sur la satire de l’orthographe tentée, en 1840, par un savant de Berlin, M. Schmidt ; une courte biographie donnée l’année d’après à Breslau par M. Petermann, une thèse ingénieuse soutenue à Halle par M. Schœnbeck, et enfin des études antiques fort étendues publiées en Hollande par un spirituel et très paradoxal érudit, M. Charles Van Heusde[1], livre qui a suscité en Allemagne une vive polémique[2]. On le voit, nous tournons presque au catalogue, et notez pourtant que j’oubliais encore certaine brochure suisse passablement lourde que vient de lancer l’auteur d’une fort médiocre édition de Nonius, M. Gerlach[3]. Il s’agit de montrer

  1. Studia critica in Lucilium : Utrecht, 1842, in-8o. — Je citerai cet exemple pour montrer jusqu’où M. Van Heusde pousse l’abus des hypothèses. On trouve dans deux ou trois passages de Lucile, qui consistent chacun en deux ou trois mots, les expressions de boulangerie et de pilon : aussitôt M. Van Heusde en conclut que Lucile, comme Plaute, a tourné la meule. Figaro ne demandait que deux lignes d’un homme pour le faire pendre ; il n’en faut pas tant à M. Van Heusde pour réduire les gens en esclavage. Je n’en apprécie pas moins tout ce qu’il y a de vues fines et d’érudition dans ce livre un peu indigeste. Il est à regretter que, dans sa récente réponse à M. Fréd. Hermann (Epistola de Lucilio, 1844), M. Van Hensde, éclairé par la critique, se soit obstiné dans tous ses paradoxes. Je m’étonne que, dans cette dernière brochure, le savant auteur, maintenant, contre toute vraisemblance, que Lucile a vécu quatre-vingts ans, relève, pour combattre la date donnée par Saint Jérôme, certaines erreurs prétendues de la Chronique de ce saint. Cela prouve seulement que saint Jérôme avait un système particulier de compter Les olympiades, système qui, en effet, a gardé son nom. M. Van Heusde, à ce qu’il paraît n’a jamais lu l’Art de vérifier les dates.
  2. Voir un article critique fort dur de M. Frédéric Hermann dans les Éphémérides de Goettingue, 1834, n° 36.
  3. Lucilius und die römische Satura ; Bâle, 1844, in-4o. — M. Gerlach ne fait guère que reproduire certaines opinions qu’avait d’abord émises M. Dziadek dans un spécieux mémoire (Sat romana, imprimis Luciliana, antiquoe groecoe comoedioe non dissimilis ; Conitz, 1842, in-4o) ; opinions que M. Frédéric Hermann a reprises et modifiées depuis avec beaucoup de subtilité et de science (de romanoe Satiroe auctore : Marbourg, 1841, in-4o). En étudiant quelque jour les origines de la satire latine, lieus aurons occasion de rétablir la vraie mesure et de montrer combien il sert peu de déprecier Ennius pour surfaire Lucile. C’est là que se placera naturellement la question de savoir si ce dernier poète a été un copiste de Rhinton et des comiques de la grande Grèce. >