Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/914

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qualités françaises et racheter les défauts qu’il empruntait à notre décadence monarchique ; tournant à la galanterie sans chaleur, à la grace sans naïveté, aux arrangemens de cœur sans passion, aux intrigues politiques sans but élevé, il a gâté systématiquement les ressources d’une intelligence nette et acérée, d’une volonté subtile et ferme.

Il avait trente-et-un ans à la mort de son père, et c’était un des jolis hommes de son pays. Que l’on me pardonne les minuties ; ceci est une miniature, non une fresque. Il avait la taille petite et mince, la tournure et la démarche d’une souplesse charmante et d’une élégance achevée, la figure régulière et délicate, sauf la longueur du menton qui s’allongeait un peu en s’arrondissant ; ces détails ne sont pas oiseux à propos d’un séducteur de profession, ils tiennent au métier. Dans ses deux portraits, gravés d’après Gainsborough et la Rosalba, l’expression dominante est celle de la coquetterie, de la douceur et d’une finesse que l’on croirait innocente ; l’œil, admirablement bien fendu, est féminin dans sa langueur, l’arcade sourcilière s’arrondit avec hardiesse ; le front, qui semble un peu bas, va se perdre sous la poudre de la perruque à la mode. Toute cette figure, adoucie par l’artifice, ne laisse apparaître qu’un sourire des lèvres d’accord avec le sourire du regard ; c’est la plus aimable marquise de 1780 vers soixante ans. Quant au costume (et il recommande pour ce soin quatre heures chaque jour, jamais il n’y a donné moins), ce sont des nuances attendries et calmes qui reposent l’œil : gris-perle sur gris-de-lin, avec broderies d’argent ; le cordon bleu fort large et en sautoir, ce qui ajoute à la taille du jeune seigneur ; rien de tranchant et d’excessif, point de recherche apparente ; de luxe, ce qu’il en faut pour attirer le regard sans le blesser. Le titre « d’arbitre de ces élégances » ne lui a été contesté par personne, pas même par Horace Walpole, fils de son ennemi, et qui lui conteste tout. Ses rivaux ont eu soin de rehausser ses qualités d’homme à la mode, non pas pour le servir apparemment.

On se tromperait bien si, d’après cet extérieur, on le jugeait frivole. Il suivait un système et allait au succès. Dès sa première jeunesse, il l’avait désiré ardemment dans toutes les voies ; il y avait tendu de toutes ses forces. Chez sa grand’mère lady Halifax, dont la maison l’abritait contre la violence de son père, et qui recevait la ville et la cour, lord Galway l’avait rencontré, et, voyant briller l’ambition dans les yeux de l’enfant, il lui avait fait cette leçon : « Je vous prédis que vous serez ambitieux, mon petit ami ; eh bien ! si vous voulez réussir, levez-vous toujours de bonne heure, c’est le seul moyen d’avoir du temps