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ce jeune homme d’une santé mauvaise, d’une intelligence lourde et d’une incurable vertu, car c’est une vertu de tempérament ? Vos tours d’agilité et de belle débauche l’ennuient fort, et vous devriez vous rappeler La Fontaine, son Ane et le petit Chien. En vain écrivez-vous à Mme la marquise de Monconseil, en vrai style de vos boudoirs : « Je vous en prie, belle marquise, décrottez-moi ce petit galopin ! » Philippe Stanhope ne voulait point « galoper ; » ni elle ni la petite Blot n’y réussirent.

La correspondance de Chesterfield n’est rien autre chose qu’un effort désespéré pour transformer la nature. Il n’y parvint pas, et resta fort mécontent de son vertueux fils, qui semble en effet avoir été bien lourd et bien gauche, ce fils du plus gracieux des courtisans. Après tout, il ne faut pas condamner sans miséricorde Philippe Stanhope, l’enfant naturel ; n’avait-il pas quelque chose à dire en sa faveur, et aussi pour sa mère ? S’il était triste et gauche, sa jeunesse ne lui avait-elle pas donné quelques bonnes raisons pour cela ? Avant de se présenter à l’hôtel de South-Audley-Street, il avait sans doute visité Lambeth, et se trouvait un peu étonné des images voluptueuses et des élégantes recherches du palais paternel ; les idées ambitieuses dont on le berçait le touchaient moins peut-être que la petite chambre pauvre de l’ancienne demoiselle de compagnie, égarée et isolée dans ce pays perdu. Philippe aurait pu répondre à son brillant père que c’est un rôle comme un autre, une façon d’être pardonnable, d’aimer la vie domestique et de s’y renfermer ; le délicat Chesterfield était bien dur d’exiger impérieusement que son fils, né en de telles circonstances, devînt un Alcibiade à son tour.

Je serais tenté de croire que Philippe Stanhope pensait ainsi, que le sot méprisait tant soit peu l’homme d’esprit, et que le fils résistait secrètement aux intentions du père ; il y a dans la correspondance quelques traces de cette mésintelligence. Philippe (ceci est de bon sens) croit « que lord Chesterfield a des idées plus convenables au midi de l’Europe qu’à l’Angleterre. » Il lui reproche à demi-voix d’aimer un peu trop « le style fleuri et riant, » en cela il n’a pas tort non plus ; mais sa mauvaise honte native se contente de cette petite opposition timide : il reçoit doucement le déluge de sermons gracieux que lui envoie son père, et retombe pour toujours dans un modeste silence.

A cinquante-sept ans, Chesterfield reparaît encore à la chambre des pairs pour y décider, par un discours spirituel et très bien fait, la réforme du calendrier grégorien. Deux années plus tard, son fils, ce fils, son espérance unique et trompeuse, meurt à Dresde. Au lieu de