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cousine, je n’ai pas voulu partir sans venir vous apprendre l’événement le plus important de ma vie, et vous faire part de mon bonheur : ma mère et mon oncle ont résolu de me marier, et dans quelques jours j’épouse mon cousin Dominique…

— Est-il possible ! murmura Anastasie avec une sorte de stupeur. Gaston ne prononça pas un mot, ne fit pas un geste ; seulement il ferma les yeux et s’appuya au canon de son fusil, comme s’il eût senti le sol vaciller sous ses pieds et la terre entr’ouverte près de l’engloutir.

La douleur violente que la nouvelle de ce mariage causait à Mlle de Colobrières avait, comme une lame aiguë, traversé son cœur et déchiré le voile qui lui cachait ses propres sentimens ; l’intensité de sa souffrance lui révéla tout à coup sa passion : elle venait de comprendre avec un douloureux effroi qu’elle aimait Dominique Maragnon. Pâle, oppressée, le regard baissé, elle serrait entre ses mains les mains froides d’Eléonore, et s’efforçait de surmonter le secret désespoir où elle était plongée. Il y eut quelques momens d’un triste silence ; puis Anastasie, faisant un suprême effort, dit d’une voix calme : — Sans doute, ma chère Éléonore, votre mère et votre oncle songeaient depuis long-temps à ce mariage.

— Oui, répondit-elle toujours du même ton mélancolique et abattu, mais on ne nous en parlait pas. Il est vrai que, lorsque j’étais encore une enfant et que Dominique faisait ses études au collège, on nous entretenait de semblables projets. Mon cousin me disait sérieusement que, si j’étais une petite fille bien sage, il m’épouserait, et je l’appelais d’avance mon petit mari ; mais, en grandissant, nous avions oublié tout cela. Qui aurait cru que nos parens s’en souvenaient, qu’ils y avaient toujours songé, qu’ils allaient nous marier ? Hélas ! nous ne nous en doutions guère il y a huit jours ; nous étions si tranquilles, si gais pendant cette promenade qui devait être la dernière !

À ce souvenir, les larmes la gagnèrent, et elle cacha son visage dans son mouchoir avec un mouvement de douleur si naturel et si vif, que Gaston tressaillit en son ame d’une amère joie.

— C’est singulier, reprit Mlle Maragnon en retenant ses larmes, depuis huit jours on ne m’entretient que de mon bonheur, on ne cesse de me répéter que je serai la plus heureuse des femmes, et pourtant je n’ai jamais tant pleuré.

— Ma chère Éléonore, ces inquiétudes d’esprit passeront, dit avec effort Mlle de Colobrières ; l’on a raison de vous prédire une heureuse destinée ; celui auquel votre mère vous unit mérite bien le trésor qu’elle lui confie, il est digne de son bonheur.