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leurs rapports mutuels, par les idées morales qui étaient accréditées, parmi eux comme règles de conduite individuelle, c’était un peuple sage et bienveillant, et Mexico aurait pu prétendre, avant Philadelphie, au nom chrétien de ville de l’amour fraternel. Mais, ô fragilité de notre nature, ô contradiction du cœur humain ! ces sentimens et ces pratiques charitables, cette bienveillance et cette équité, ces ménagemens pour les femmes, qu’on regarde avec raison comme la preuve la plus concluante de la douceur des mœurs et de la culture sociale, se combinaient, par une affreuse sophistication, avec les sacrifices humains, avec des festins de cannibales. On sacrifiait des hommes en grand nombre sur les autels des dieux, et on dévorait solennellement les corps des victimes ; c’étaient les banquets du plus grand apparat, ceux où l’on réunissait le plus de délices. Ils avaient, avons-nous dit, un sacrement qu’on pourrait appeler leur eucharistie ; le pain qui y servait était pétri avec du sang ! L’esprit demeure confondu quand on voit que ces exécrables cérémonies n’étaient point parmi les Mexicains un legs de la barbarie, transmis de génération en génération, et que des fils civilisés maintenaient par un stupide respect pour de grossiers ancêtres. Il y aurait de quoi changer en un scepticisme amer la foi en la perfectibilité humaine, dont pourtant s’alimentent avec prédilection les ames généreuses. C’était en pleine voie de civilisation que l’idée de ces horreurs était venue aux Aztèques. Plus ils avançaient, plus grandissaient leurs arts, et plus ils semblaient se passionner pour ces pratiques féroces. On dirait qu’ils étaient fascinés par un génie infernal, et on conçoit que les Espagnols aient été persuadés qu’ils avaient des communications directes et intimes avec Satan.

Citons quelques lignes de M. de Humboldt sur l’origine des sacrifices humains au Mexique[1].


« Depuis le commencement du XIVe siècle, les Aztèques vivaient sous la domination du roi de Colhuacan ; c’étaient eux qui avaient contribué le plus à la victoire que ce roi avait remportée sur les Xochimilques. La guerre finie, ils voulurent offrir un sacrifice à leur dieu principal, Huitzilopochtli ou Mexitli (dieu de la guerre), dont l’image en bois, placée dans une chaise de roseaux, appelée siège de Dieu, était portée sur les épaules de quatre prêtres ; ils demandèrent à leur maître, le roi de Colhuacan, de leur donner quelques objets de prix pour rendre le sacrifice plus solennel. Le roi leur envoya un oiseau mort, enveloppé dans une toile de tissu grossier. Pour ajouter la dérision à l’insulte, il leur proposa d’assister lui-même à la fête. Les Aztèques feignirent d’être contens de cette offre ; mais ils résolurent

  1. Vues des Cordillères, etc, par M. de Humboldt, p. 94.