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victimes subissaient leur sort sans se plaindre. Les populations les regardaient comme des messagers députés vers la Divinité, qui les accueillait favorablement pour avoir souffert en son honneur. Elles les priaient de se charger de leurs réclamations près des dieux, de leur rappeler leurs affaires. Chacun leur confiait ses vœux en leur disant : « Puisque tu vas retrouver mon Dileu, fais-lui savoir mes besoins afin qu’il y satisfasse. » On les parait, on leur faisait des présens avant l’immolation. Il y avait au temple une fête mêlée de danses auxquelles le captif prenait part, et au moment suprême, on lui disait le message le plus important qu’il eût à remplir près des dieux.

Dans les conquêtes des Mexicains, on rencontre, même à côté des réserves faites pour les autels des dieux, de nombreux traits de clémence. Le récit des agrandissemens successifs de l’empire aztèque, par Tezozomoc, que M. Ternaux a récemment publié, montre que ce n’étaient point des vainqueurs impitoyables. Ils donnaient à leur générosité quelquefois des formes étrangement naïves, comme ont pu le faire souvent les barbares envahisseurs de l’empire romain ou les chefs de bandes du moyen-âge. J’emprunte un exemple à ces annales de Tezozomoc : il s’agit de la conduite de l’empereur Axayacatl, père de Montezuma, après l’assaut de la ville de Tlatelolco, envers les vieillards, les femmes et les enfans. Les guerriers de Tiatelolco avaient affecté beaucoup d’arrogance.


« Axayacatl et les principaux chefs mexicains allèrent alors chercher les vieillards, les femmes et les enfans qui s’étaient cachés au milieu des roseaux, et dont une partie s’était enfoncée dans les marécages jusqu’à la ceinture, quelques-uns même jusqu’au menton, et leur dirent : « Femmes, avant de sortir de l’eau, il faut, pour nous montrer votre respect, que vous imitiez le cri des dindons et des autres oiseaux du lac. » Les vieilles femmes se mirent alors à crier comme des dindons, et les jeunes comme les oiseaux que l’on appelle cuachil ou yacatzintli, de sorte qu’elles firent un tel bruit, que l’on eût dit que le marais était réellement rempli d’oiseaux. Axayacatl leur permit ensuite de sortir du lac, et les remit en liberté. »


A côté de ces sacrifices, dans la religion même des Mexicains on trouve des traits qui annoncent un sentiment profond d’humanité. Ainsi leur conception de la vie future leur faisait admettre trois états qu’on pourrait comparer à ce que nous appelons le paradis, le purgatoire, l’enfer ; mais leur enfer se distinguait par l’absence de tortures physiques. C’était une peine morale qui y était infligée ; les damnés étaient livrés à leurs remords au sein de ténèbres éternelles[1], et le

  1. A proprement parler, l’intermédiaire entre le paradis et l’enfer se rapprochait plus du premier que du second. C’était une ombre de paradis, où l’on n’avait que des joies fort ternes.