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VOYAGE


AU


PAYS DU FREYSCHÜTZ.




Je ne sais plus quel humoriste allemand disait, en parlant de l’incroyable vitesse avec laquelle on voyage aujourd’hui, que les bateaux à vapeur et les chemins de fer avaient réduit l’in-folio gigantesque du globe aux proportions essentiellement usuelles du format d’un livre de poche ; à quoi on pourrait ajouter, j’imagine, qu’avec les bateaux à vapeur et les chemins de fer toute la poésie du voyage s’en est allée. En effet, cette locomotive qui vous enlève ressemble assez au manteau fantastique où le diable emporte le docteur Faust à travers les campagnes de l’air. Une fois là vous ne vous appartenez plus, et dans cette prison fuyante, dont l’atmosphère suffoque, il vous arrive souvent d’envier le sort du pauvre ouvrier compagnon qui chemine gaiement sur la route, son paquet sur le dos, libre de s’arrêter, quand bon lui semble, pour écouter l’oiseau chanter dans l’arbre, pour se rafraîchir à la source vive, ou conter fleurette à quelque jolie fille. Il est vrai que vous risquez à chaque minute de vous casser le cou, seul épisode sur lequel on puisse compter pour rompre la monotonie du voyage. L’équipage fend l’air comme une flèche, et vous donne, par la plus douce brise d’été, toutes les âpres sensations de l’ouragan marin. Vous penchez la tête en dehors pour voir si par hasard le monde croule ; à l’instant,