Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/1107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Thiers nous montre le premier consul recevant à Lyon, des députés de l’Italie, le titre de président de la république italienne, il s’exprime ainsi : « Cette fois comme tant d’autres, il ne fallait souhaiter au général Bonaparte qu’une chose, c’est que le génie qui conserve accompagnât chez ce favori de la fortune le génie qui crée. » (T. III, p. 398.) Enfin, lorsque la paix d’Amiens fut signée, lorsque, après dix années de la plus grande et de la plus terrible lutte, on posait les armes, arrivé à ce grand moment, l’historien fait entendre ces graves paroles : « Qui avait fait cela ? qui avait rendu la France si grande et si prospère, l’Europe si calme ? Un seul homme, par la force de son épée et par la profondeur de sa politique. La France le proclamait ainsi, et l’Europe entière faisait écho avec elle. Il a vaincu depuis à Austerlitz, à Iéna, à Friedland, à Wagram ; il a vaincu en cent batailles, ébloui, effrayé, soumis le monde. Jamais il ne fut si grand, car jamais il ne fut si sage ! » (Ibid., p. 437.) On le reconnaît, même en face de prospérités sans nuages et sans taches, l’historien ne peut se défendre de reporter sa pensée sur d’autres époques, et cette préoccupation naturelle, que partage avec lui le lecteur, éloquemment exprimée d’intervalle en intervalle, empreint les récits les plus brillans d’une mélancolique gravité.

A la grandeur de Napoléon M. Thiers n’a rien sacrifié, ni dans les choses ni dans les hommes. Si nécessaire que fût au commencement du siècle la dictature du premier consul, l’historien nous montre qu’elle trouvait sa plus grande force dans les institutions qui étaient les conséquences naturelles du génie modéré de la révolution française. Le premier consul n’est pas grand aux dépens et au détriment de la France ; il est grand parce qu’il sait comprendre et conduire un pays plein de sève et de vie, dont le génie souple et vigoureux passe avec promptitude d’excès affreux au régime réparateur de l’ordre et de la gloire. Telle est l’impression vraie, profonde, qu’on reçoit du livre de M. Thiers. La figure des contemporains illustres de Bonaparte n’est pas effacée dans l’intention d’exhausser encore le héros. Le génie militaire de Moreau est loué dignement ; on comprend tout ce qui le distingue et le distance de Bonaparte, et de trois ou quatre hommes de guerre comme Annibal et César ; en même temps on reconnaît combien est glorieuse la place que lui font dans l’histoire les batailles qu’il a livrées, notamment celle de Hohenlinden. « Cette bataille, dit M. Thiers, est la plus belle de celles qu’a livrées Moreau, et assurément l’une des plus grandes de ce siècle, qui en a vu livrer de si extraordinaires. On a dit à tort qu’il