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di San-Sisto. Ainsi de Wackenroeder ; en l’absence d’une idée dominante où vînt s’abîmer son mysticisme, il évoquait l’art et ses interprètes. — Maintenant, au lieu du pâle et maladif jeune homme, supposez une nature active, nerveuse, bondissante, une espiègle de bonne humeur comme l’enfant devait l’être à seize ans ; au lieu d’une ame languissante qui s’épuise à chercher au dehors un élément à son exaltation, supposez une ame amoureuse, ardente, affolée de tout et qui déborde, et, les mêmes influences étant données, vous aurez le mysticisme de Bettina, c’est-à-dire le plus singulier, le plus incroyable, le plus barroque qui se puisse rencontrer, un mysticisme sentimental et religieux, littéraire et philosophique, plein de bruits du printemps et de musique de Beethoven, et qui, somme toute, finit par vous aller au cœur et raviver en lui maintes émotions de jeunesse dont nous ne distinguions plus la profondeur, comme si (me passera-t-on ce langage ?) dès long-temps l’herbe avait poussé dessus.

Un ingénieux critique, M. Kühne, la plume la plus vigilante et la plus active de la jeune phalange, écrivait naguère très spirituellement que Bettina avait passé sa vie à improviser toute sorte de ballets plus fantastiques les uns que les autres. D’abord ce fut Goethe qu’elle mit sur le piédestal du sanctuaire, uniquement pour décrire autour de lui, avec ou sans écharpe, des pas de bayadère ou de bacchante. Puis vint le tour de Caroline de Günderode, la douce fille cloîtrée qu’elle alla chercher jusqu’au fond de sa cellule de nonne pour la travestir en idole. Enfin, dernièrement, dans son livre politique, c’était encore un pas de trois qu’elle exécutait devant les yeux du roi de Prusse entre M. le bourgmestre et M. le pasteur, une façon de grave menuet sur une de ces ritournelles sérieusement bouffonnes qui eussent édifié nos pères, et que les sceptiques du jour accueillent le sourire aux lèvres. Je ne sais, mais je me trompe, ou ce livre nouveau, cette prétendue correspondance de Clément Brentano, rédigée après coup, n’est qu’une quatrième répétition du manége favori, et le bon Clément m’a bien l’air de venir poser là dans le seul but de fournir à la bayadère allemande l’occasion de révéler au public certains entrechats de fraîche date et de l’initier à plusieurs ronds de jambe dont Fanny Elssler elle-même, en dépit des leçons de M. de Gentz, ne s’était jamais doutée.

Mais voyons d’abord ces correspondances telles que Bettina nous les présente, quitte à discuter ensuite la question d’authenticité. « Couronne printanière de Clément Brentano, tressée à sa mémoire avec ses lettres de jeunesse, et selon ses propres souhaits exprimés par écrit ; « ce titre, si étrange qu’il puisse paraître, indique assez sous quels auspices l’ouvrage prétend se produire, et d’ailleurs voici qui, à défaut du titre, semblerait devoir lever toute équivoque : « Chère enfant, écrit Clément à Bettina, conserve mes lettres, prends bien garde qu’elles ne s’égarent ; c’est ce que j’ai écrit de plus fervent, de plus rempli d’amour dans ma vie. Je veux un jour les relire et me retirer en elles comme en un paradis. Les tiennes me sont sacrées. »