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dut paraître devant l’inquisition de Venise : « Meurs, lui dit sa mère, une Grecque de Zante ; meurs, mon fils, plutôt que de révéler le nom de tes amis. » Quatre ans plus tard, en 1799, on le voit à Milan adjoint à l’ambassade de Battaglia auprès de Napoléon ; peut-être avait-il pensé avec Battaglia que Venise aurait dû lever cinquante mille hommes, s’unir à Bonaparte pour combattre l’Autriche et s’occuper ensuite de sa réforme comme d’une affaire domestique. Bientôt il connaît le traité de Campo-Formio, et ce traité décide de sa vie. « De retour à Venise, dit-il, je vis les bataillons français multipliés, et leurs batteries pointées au bout de toutes les rues. Tous les pères de famille avec leurs fils se réunissaient en silence dans les églises, et ils protestaient qu’ils voulaient vivre et rester les descendans de leurs ancêtres libres depuis quatorze siècles, et qu’ils ne mourraient serfs que par la violence du plus fort ; vœux inutiles ! Et moi aussi, j’ai juré. Depuis je n’ai plus prononcé un seul des sermens que jurent et parjurent vos princes et vos serfs. »

L’aversion de Foscolo pour la France et pour Napoléon n’avait rien de vulgaire. Depuis le traité de Campo-Formio, ses principes restèrent invariables, si ce n’est qu’il s’engagea de plus en plus dans la démocratie. Le poète pleurait Venise, le politique jugeait avec une douloureuse clairvoyance la situation de l’Italie. L’Italie n’était pas armée, donc ce n’était pas une patrie ; Venise ne s’était pas défendue, donc elle avait mérité son sort ; restait comme espoir la république cisalpine, et les éventualités de la guerre comme une dernière chance. Foscolo accepta un grade militaire. La tâche de l’Italie à ses yeux était immense, désolante, impossible. « Nous avons, dit-il, des clercs et des moines, et point de prêtres, car l’église est une administration où la religion se prostitue. L’Italie possède des nobles et point de patriciens, car les patriciens savent combattre et gouverner, et le faste de l’oisiveté est la seule gloire de notre noblesse. Nous avons des plébéiens et non pas des citoyens, des hommes qui cultivent les professions libérales, et aucune classe animée par l’esprit de liberté. Transformons donc les moines en prêtres, les nobles en patriciens, les plébéiens en citoyens. Confions le gouvernement aux propriétaires ; ils seront toujours les maîtres invisibles du sol, car il n’y a pas de peuple sans terre, et il y a des terres sans habitans. Cependant, que nos réformes se réalisent sans carnages, sans sacrilèges, sans factions, sans proscriptions ni exil, sans l’aide de légions étrangères, sans partage de terres, sans lois agraires, et si tous ces remèdes sont indispensables, je ne serai jamais le bourreau de mon pays. Au reste, l’individu peut