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sûr qu’il l’obtienne. Une chose paraît frapper beaucoup d’esprits sages à la chambre des pairs, c’est le danger d’une politique en désaccord avec les intérêts qu’elle s’est chargée de défendre ; nuisible aux principes conservateurs, que son impopularité affaiblit ; à l’alliance anglaise, qu’elle discrédite par ses fautes ; au pouvoir lui-même, dont elle dissipe les ressources pour se soutenir dans des luttes que son impuissance et sa présomption renouvellent sans cesse. La plupart des hommes dont nous parlons sont ennemis des commotions politiques ; ils ne renverseront pas le cabinet, mais, à coup sûr, ils ne l’empêcheront pas de tomber.

Dans quelques jours, toutes les questions seront posées à la tribune. Les opinions seront en présence ; le ministère donnera ses explications sur la paix de Maroc et sur l’affaire Pritchard. On nous apprendra pourquoi les frais de la guerre n’ont pas été imposés à l’empereur Abderraman, pourquoi les droits de la France ont été abandonnés, pourquoi nous avons dû recevoir d’un barbare humilié par nos armes l’injonction de respecter la vie d’Abd-el-Kader, s’il venait à tomber entre nos mains. On nous apprendra ce que l’honneur et la gloire de la France ont pu gagner dans cette étrange stipulation ; on nous dira pourquoi l’on s’est tant pressé de conclure la paix et d’évacuer l’île de Mogador avant les ratifications du traité ; on nous apprendra enfin comment cette paix, conclue à la hâte, sans garanties, sans indemnité, a pu satisfaire les prétentions d’un ministère français, tandis que l’empereur de Maroc, plus jaloux de nos intérêts et de notre honneur, nous faisait offrir douze millions d’indemnité et la faculté d’interner Abd-el-Kader dans une ville de la côte, sous la garde de nos soldats : proposition que l’armée d’Afrique connaissait, lorsque déjà nos plénipotentiaires avaient engagé la signature de la France. On nous dira clairement pourquoi, dans le discours du trône, on vante cette promptitude de la paix et ce désintéressement que l’on a montré dans la victoire. Est-ce Abderraman que l’on a voulu ménager ? Le maréchal Bugeaud pourra donner là-dessus des éclaircissemens, et compléter les explications du ministère, s’il y a lieu.

Sur les affaires de Taïti, que d’explications à donner aux chambres, que de documens à mettre entre leurs mains, que de renseignemens précis, authentiques, il sera nécessaire de leur livrer ! Pour ne prendre les choses qu’à dater des derniers évènemens, il faudra prouver que le commandant d’Aubigny n’a pas rempli son devoir, puisqu’on l’a blâmé ; que le capitaine Bruat n’aurait pas dû renvoyer le missionnaire Pritchard, puisque ce dernier reçoit une indemnité ; que la France était dans son tort, puisqu’elle s’est exécutée, et que les demandes de l’Angleterre ont été pleines de modération et de justice, puisqu’on se loue de son bon vouloir et de son équité. Enfin, puisqu’on prétend qu’au dehors on a donné une situation forte et digne à la France, il faudra démontrer que le ministère ne peut se reprocher aucune concession, aucune faiblesse, car autrement pourquoi parlerait-on de la dignité et de la force de la France ?