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la guerre à leur patrie ; mais convenez aussi que des nobles nés dans nos rangs auraient pu être dans le Comité de salut public. Nous sommes tous hommes, monsieur le comte, et cette condition est dure. Tous les partis ont leurs bons et leurs méchans, et ne diffèrent que par le but ; mais vous conviendrez qu’entre un Bailly mourant la tête et le cœur plein de vérité, et un Desprémenil mourant plein d’entêtement, quoique le sacrifice soit le même, le mérite ne l’est pas. Tous deux ont succombé pour leur cause ; mais lequel pour la vérité ? »


Certes la conviction, le sentiment profond de ce que j’appellerai la vérité sociale, éclate dans ces pages où le jeune écrivain, si prononcé pour les choses, ne se montre guère disposé à de grandes illusions sur les hommes. Cet article pourrait se dire assez justement un article ministre ; l’instinct s’y montre, la vocation y perce, le pronostic aurait pu dès-lors se tirer. Et ceci me rappelle en effet que, dans ces années de début, un soir que sur un des sujets de conversation politique à l’ordre du jour, M. Thiers avait brillamment parlé, Félix Bodin, qui l’avait écouté sans l’interrompre, s’approcha de lui lorsqu’il eut fini, et lui dit : « Mais savez-vous, mon cher ami, que vous serez ministre ? » Le compliment fut reçu sans étonnement et comme par quelqu’un qui pouvait répondre : « Je le sais. »

Il ne faudrait pas que nos jeunes gens d’aujourd’hui se réglassent là-dessus dans leurs ambitions futures ; outre que de tels talens sont infiniment rares, les temps aussi sont fort changés. Il y avait alors des partis en ligne, de grandes opinions rangées en présence ; il y avait des positions régulières à emporter, des principes légitimes à faire prévaloir, une vérité sociale en un mot, et c’est la conscience de cette vérité qui développait et doublait les jeunes talons, occupait les jeunes passions, et leur donnait tout leur emploi dans une direction à la fois utile et généreuse.

Mais ce n’était pas en politique seulement que la plume de M. Thiers faisait ses premières armes ; alors, comme aujourd’hui, on était fort tenté au début d’écrire sur toutes sortes de sujets. Je ne sais plus qui a dit : on commence toujours par parler des choses, on finit quelquefois par les apprendre. Le fait est que les mieux doués commencent par deviner ce qu’ils finissent ensuite par bien savoir. C’est ce qui arriva au jeune écrivain pour le salon de peinture de 1822, dont il rendit compte dans le Constitutionnel ; ces mêmes articles parurent durant l’année, réunis en brochure. Quoi qu’en puisse penser aujourd’hui l’auteur, très sévère sur ses premiers essais et dès long-temps mûri en ces matières, j’ose lui assurer que cette brochure se relit