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après une longue absence, était revenu se fixer à Paris au commencement de 1830 ; il publiait ses Harmonies poétiques, et obtenait place enfin à l’Académie française. M. Thiers en prit occasion pour de gracieuses avances ; il voulut rendre compte lui-même, dans le National, de la séance de réception et de la publication des Harmonies. Dans l’un et l’autre article[1], il s’exprimait, sauf de légères réserves, sur le ton de l’admiration et de l’attrait. Cet attrait alors était réciproque ; ces deux grands esprits, partis de deux rivages opposés, se traitaient comme des hôtes d’un jour qui se font fête et qui s’honorent. On a vu par degrés cette bonne harmonie s’altérer, à mesure que le poète s’est senti devenir un politique, et depuis qu’il a son drapeau sur la même rive.

Dans un article du National (24 juin) sur les Mémoires de Napoléon, M. Thiers exprime plus formellement qu’il n’a fait nulle part ailleurs son idéal de style moderne, tel qu’il l’entend.


« Nous ne pouvons plus avoir, dit-il, cette grandeur tout à la fois sublime et naïve qui appartenait à Bossuet et à Pascal, et qui appartenait autant à leur siècle qu’à eux ; nous ne pouvons plus même avoir cette finesse, cette grace, ce naturel exquis de Voltaire. Les temps sont passés ; mais un style simple, vrai, calculé, un style savant, travaillé, voilà ce qu’il nous est permis de produire. C’est encore un beau lot quand avec cela on a d’importantes vérités à dire. Le style de Laplace dans l’Exposition du système du monde, de Napoléon dans ses Mémoires, voilà les modèles du langage simple et réfléchi propre à notre âge. »


Et il finit par risquer ce mot qui, depuis, a tant fait fortune : « Napoléon est le plus grand homme de son siècle, on en convient ; mais il en est aussi le plus grand écrivain. » Il faudrait bien de la pédanterie pour venir contester, contrôler un jugement si piquant, si vrai même, à l’entendre d’une certaine manière. Oui, sans doute, comme M. Cousin l’écrivait récemment[2], « le style n’est rien que l’expression de la pensée et du caractère : quiconque pense petitement et sent mollement n’aura jamais de style ; quiconque, au contraire, a l’intelligence élevée, occupée d’idées grandes et fortes, et l’ame à l’unisson de cette intelligence, celui-là ne peut pas ne pas écrire de temps en temps des lignes admirables, et, si à la nature il ajoute la réflexion et l’étude, il a en lui de quoi devenir un grand écrivain. » Napoléon, certes, réunissait en lui plusieurs de ces hautes conditions, et, toutes

  1. 3 avril et 21 juin.
  2. Jacqueline Pascal (1845), page 29.