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D’ailleurs, un seul souvenir est demeuré là qui domine tous les autres. Quelque opinion qu’on ait sur l’art du moyen-âge, c’est ici qu’a été entrepris le chef-d’œuvre par excellence, le monument incomparable de cet art, et certes, si jamais le passé a demandé grace au présent d’une manière suppliante, c’est bien à Cologne par toutes les voix désespérées de cette cathédrale qu’on n’achèvera pas. Je n’ai pas besoin de renoncer aux idées de mon temps pour comprendre sans peine le sincère enthousiasme des Allemands, leur amour passionné de ces belles contrées, leur attachement pieux à ces grands souvenirs. Ce dôme de Cologne, ces flots silencieux du Rhin, ont été chantés par bien des poètes en Allemagne ; hommes du nord ou du midi, protestans ou catholiques, docteurs piétistes ou docteurs hégéliens, tous étaient d’accord sur ce texte. Il y a eu des strophes inspirées et des lieux communs sans valeur : qu’importe ? Du plus grand au plus petit, chacun a voulu chanter ce sujet sacré, afin de baptiser et de bénir sa muse. C’était une œuvre de piété : que pouvait-on demander davantage ? J’ai lu beaucoup de ces vers, et j’en lirai volontiers beaucoup d’autres. Surtout j’écouterai avidement M. Heine lorsque, après treize années d’exil, cette brillante imagination retrouvera les grands spectacles de la patrie :


« J’arrivai à Cologne le soir, fort tard. J’entendis mugir le Rhin ; l’air de l’Allemagne me souffla au visage, et je sentis son influence…

« Sur mon appétit. Je mangeai une omelette, du jambon, et comme le jambon était fort salé, il fallut bien boire du vin du Rhin.

« Le vin du Rhin brille toujours comme de l’or dans une coupe romaine toute verte, et si vous en prenez quelques gouttes de trop, cela vous monte au nez.

« Oui, au nez, un picotement si doux ! quelles délices ! on ne peut s’en lasser. Or, ce fut le vin du Rhin qui me poussa dehors, par la nuit obscure, au milieu des rues retentissantes.

« Les maisons de pierre me regardaient, comme si elles eussent voulu me conter des légendes du temps qui n’est plus, des histoires de la sainte ville de Cologne.

« Oui, c’est ici que le clergé jadis a mené sa pieuse vie ; c’est ici que régnaient ces hommes obscurs décrits par Ulric de Hutten.

« C’est ici que les nonnes et les moines dansèrent le cancan du moyen-âge ; ici Hochstraten, le Menzel de Cologne, écrivait ses dénonciations empoisonnées.

« C’est ici que la flamme du bûcher a dévoré des livres et des hommes. Pendant ce temps-là, les cloches sonnaient et l’on chantait le Kyrie eleison.