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fortement aux épreuves qu’elle est appelée à subir ; ils pensent enfin que, dans cette périlleuse transformation des idées et des croyances, il y aurait une belle place à prendre pour une littérature hardie et droite, libérale et maîtresse d’elle-même, pour un groupe de fermes esprits qui dirigeraient utilement cette opposition à la fois turbulente et timide, avide et irrésolue.

J’ai déjà exprimé ce vœu à propos des poètes démocratiques auxquels M. Heine vient de se joindre par son éclatant manifeste. La lecture de son livre me confirme dans ma pensée. On ne peut nier l’esprit qui étincelle dans les Poésies nouvelles de M. Heine ; j’y trouve, assurément, beaucoup plus de talent, d’originalité, que dans les vers de M. Prutz ou de M. Herwegh ; mais y a-t-il quelque chose de plus si je cherche l’influence possible et la direction salutaire à imprimer aux esprits ? Non, il y a moins peut-être ; M. Heine blesse trop cruellement l’Allemagne pour la pouvoir diriger. Vous avez perdu toute confiance dans votre pays ; lui aussi, il se défie de vous. Sur ce point-là, vraiment, M. Heine est incorrigible ; il a beau se réconcilier avec les loups qu’il rencontre dans la forêt, il a beau se faire admonester par la déesse Hammonia et s’humilier devant ses remontrances, à la première occasion soyez sûr qu’il recommencera de plus belle. Le poète, à de certains momens, s’aperçoit qu’il est seul ; il voit qu’il a mis son auditoire en fuite ; n’est-ce pas pour cela qu’il appelle cette génération meilleure, cette race franche et joyeuse, laquelle succédera aux hommes maigres et pourra l’entendre jusqu’au bout ? A la bonne heure ! seulement ce peuple nouveau court grand risque de n’être plus l’Allemagne. Or, puisque l’Allemagne existe et que M. Heine est un de ses plus spirituels écrivains, il vaudrait mieux peut-être se faire aimer d’elle et ne point gâter par tant d’étourderie une verve si brillante, un si vrai talent.

Quand je lis ces ingénieuses et folles satires, ces amusantes espiègleries, ces farces joyeuses qui plaisent aujourd’hui à la muse politique de l’Allemagne, je ne puis m’empêcher de songer à la Satire Ménippée. Voilà aussi une verve bouffonne, des tableaux bizarres, de grotesques mascarades ; pourtant sous ces masques, quel groupe décidé, déterminé ! quelle discipline ! quelle fermeté de vues ! le tiers-état est là tout entier, et son pamphlet ainsi armé devait gagner la bataille. Ici, dans les satires de M. Heine, où est la harangue de d’Aubray ? Je la cherche en vain. Que l’ingénieux poète veuille bien y réfléchir, ou plutôt, puisqu’il a choisi pour maître l’auteur des Oiseaux et des Guêpes, qu’il prenne garde de se tromper sur le génie d’Aristophane.