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donc ces notes de voyage déjà bien longues sans doute, mais qui du moins n’auront pas été inutiles, si elles inspirent au lecteur l’idée de visiter ce beau pays, l’un des plus romantiques et des plus intéressans qu’il y ait. Nulle part vous ne trouverez rassemblés sur un si étroit espace tant de points de vue étranges et divers. Si jamais l’imprévu, ce grand moyen d’effet dans la nature comme dans les arts, eut son royaume ici-bas, c’est bien certainement dans le pays que je viens d’essayer de décrire, dans ce petit coin de terre de cinq milles de longueur sur autant à peu près de large, qu’il faut l’aller chercher. Jamais machiniste d’Opéra ne déroula sous vos yeux plus étonnans contrastes. A chaque pas que vous faites, le décor change, les lieux se transforment comme par magie ; vous sortez d’une caverne effroyable pleine de bruits souterrains, de mystères et d’enchantemens, et vous voilà dans quelque riante vallée dont les moelleux tapis de gazon frais dédommagent vos pieds des aspérités du rocher voisin ; cette porte colossale de granit, qu’on prendrait pour une avenue de l’enfer, s’ouvre sur un oasis de verdure, l’antre de Caliban touche au jardin d’Ariel et de Titania, et, pour que rien ne manque au contraste, vous pouvez vous attendre à rencontrer au sein de ces cavernes, sur le pinacle de ces monts ou dans la profondeur de ces abîmes, d’honnêtes caravanes de bourgeois pataugeant dans toute cette poésie comme des scarabées sur des fleurs. Après cela, je ne prétends imposer mes impressions à personne. Peut-être en est-il des sites de la nature comme de ces effets de nuages où chacun découvre ce qu’il lui plaît. Je n’oserais nier que les objets que nous voyons aient en dehors de nous une existence réelle ; mais ce qu’il y a de certain, c’est que cette existence sera toujours singulièrement modifiée par le goût, le caractère, l’âge ou le tempérament des individus.


HENRI BLAZE.