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trinité, de mystère, de médiation, nous avaient un instant fait croire que M. Michelet nous promettait un symbole nouveau. Nous nous sommes rassuré en trouvant à la fin de son ouvrage, à titre de conclusion positive, une théorie de l’amour, familière à tous les grands docteurs de l’église, que le christianisme opposait jadis à l’école d’Alexandrie par l’organe de ses conciles, que Bossuet revendiquait au XVIIe siècle contre le mysticisme de Fénelon. Le fond de cette théorie, c’est que l’amour n’a pas pour objet l’absorption de l’ame dans l’objet aimé, mais le développement, le perfectionnement de celui qui aime, non la mort, mais la vie. Nous faisons honneur de cette théorie au christianisme ; mais elle est beaucoup plus ancienne encore, et M. Michelet, qui l’expose avec talent, a pu s’inspirer à la fois de l’Évangile et du Banquet.

M. Michelet, en mille passages, est si éloigné de la chimère d’une religion nouvelle, que nous le voyons incliner assez fortement vers la religion naturelle. On sait que le problème du XIXe siècle est pour lui la réconciliation spirituelle de l’épouse et de l’époux. « Cela ne peut aller ainsi, s’écrie M. Michelet ; il faut que le mariage redevienne le mariage. » Comment cela ? M. Michelet nous le dit d’une manière sommaire, mais expressive :


« Que cela n’arrive plus. Voyons, reprenez-vous la main. N’entendez-vous pas que votre enfant pleure ? Le passé et l’avenir, vous l’alliez chercher dans des routes différentes ; mais il est ici : vous trouverez l’un et l’autre tout ensemble au berceau de votre enfant. »


Si je ne me trompe, voilà bien la religion de la nature. Le père, la mère, l’enfant, c’est à coup sûr un système extrêmement simple : c’est celui des sauvages ; encore les sauvages ont-ils un culte, germe grossier, mais déjà sublime de la religion. M. Michelet ajoute, il est vrai, à son système un quatrième ressort, et c’est un prêtre, mais le prêtre de l’avenir, c’est-à-dire un vieillard, qui sera l’homme de tous, « l’homme qui appartient aux pauvres, l’arbitre conciliant qui empêche les procès, le médecin hygiénique qui prévient les maux. » Avec tout le respect que mérite un homme du talent de M. Michelet, convenons que ce prêtre en cheveux blancs, juge et médecin, est un peu ridicule ; c’est au moins un ressort inutile que la parfaite simplicité du système devait faire absolument supprimer.

Arrivons au point le plus sérieux de cette controverse. Il y a dans le monde moderne deux puissances spirituelles, la religion chrétienne ou la philosophie ; tout le reste n’existe que dans l’imagination des