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et si nouveau pour l’Orient, qu’il n’a pu encore s’y produire nulle part, excepté peut-être en Russie et en Égypte. Le royaume grec même est loin de réaliser l’idée occidentale de l’état, malgré sa charte nouvelle, qui rattache en apparence d’une manière si intime le système grec moderne au système français. Ces analogies ne sont que dans la forme : le génie grec ne se développe au fond qu’en suivant sa voie propre. Les Grecs conçoivent la liberté autrement que les Occidentaux. Au lieu donc de chercher les analogies qui existent entre la charte hellénique et la charte française, analogies d’où peuvent sortir une foule de mécomptes dans nos rapports diplomatiques, il serait bien plus important d’examiner, au contraire, en quoi les deux constitutions diffèrent.

Le Gréco-Slave, avons-nous dit, ne se fait point de l’état la même idée que nous. Pour lui, l’état n’est point un fait logique ni un fait purement civil ; c’est un fait à la fois naturel et divin, et qui par conséquent s’appuie essentiellement sur la religion. La guerre actuelle entre le clergé et l’Université de France, entre l’enseignement ecclésiastique et l’enseignement séculier, serait, pour le dire en passant, impossible chez ces peuples, attendu que l’église n’y peut être séparée de l’état, ni l’état de l’église. Suivant les défenseurs officiels de l’Université, l’enseignement, chez nous, doit être, non pas athée, mais laïc, à l’exemple de la société elle-même, qui, devenue majeure, s’est désormais soustraite à la tutelle cléricale. Ce langage est conforme à l’esprit moderne de l’Occident ; mais en Orient, on ne pourrait l’entendre sans crier au blasphème. La plupart des Orientaux tomberaient, en nous accusant d’athéisme, dans une erreur analogue à celle que nous commettons nous-mêmes quand nous regardons les Orientaux comme servilement soumis au joug sacerdotal, parce qu’ils font dériver toutes choses du principe religieux. Nous ignorons qu’organisée selon le mode gréco-slave, l’église devient la source des plus magnifiques libertés.

Aux yeux de l’Oriental, la souveraineté absolue ne réside que dans la religion ; toute autre loi que la loi divine n’a donc qu’un pouvoir relatif, subordonné. En Orient, c’est l’église qui fait naître les nationalités, et les sauve de la mort quand elles succombent. Ainsi l’église seule a ranimé la nationalité russe détruite par les Mongols, et la nationalité grecque absorbée par les Ottomans. En Russie comme en Grèce, c’est le diocèse qui a formulé la province politique : l’une et l’autre de ces divisions s’expriment par un seul mot, éparchie. L’évêque et le gouverneur occupent dans l’église deux trônes parallèles, de même que dans l’état ils se contrôlent mutuellement. Le terme