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l’esclavage. Autocrates à l’armée et dans leur capitale, les tsars restaient forcément dans les provinces soumis au contrôle constitutionnel. Ce fut Pierre Ier qui devint en Russie le grand destructeur des libertés nationales. Élevé en Hollande, en France, à Londres, cherchant à reproduire dans sa colossale réforme tout ce qu’il avait trouvé de bon dans le reste de l’Europe, Pierre Ier était tout, excepté Slave. Ses successeurs immédiats héritèrent de son engouement pour les institutions occidentales. Ces institutions étrangères trouvant chez les indigènes une résistance obstinée, il fallut constamment, pour les maintenir, des mesures violentes et oppressives : de là le système de terreur que les tsars se sont accoutumés à regarder comme nécessaire. En effet, en s’obstinant à poursuivre en Orient l’œuvre occidentale de Pierre Ier, c’est-à-dire en se séparant de la masse nationale, ils devaient sentir le besoin de créer une administration indépendante du pays et une hiérarchie nobiliaire dont les places fussent exclusivement à la nomination du trône ; mais, pour assurer ces résultats, il fallait transformer complètement le vieux génie slave, le génie de liberté de la Russie. Les héritiers de Pierre-le-Grand ont travaillé à cette transformation avec une persistance et un courage dignes d’un meilleur but.

La Russie pendant des siècles a joui d’assemblées provinciales analogues aux synodes grecs et aux diétines polonaises. Encore aujourd’hui chaque comitat russe a le droit d’élire ses magistrats par l’intermédiaire du collége des nobles. Ces magistrats sont dans chaque comitat sous la présidence d’un maréchal de la noblesse. C’est par l’intermédiaire seulement de ces maréchaux que le gouvernement peut entrer en rapport avec la noblesse des campagnes. Il en est de même pour les magistrats des cités. On conçoit qu’un tel état de choses doive gêner dans ses mouvemens la centralisation autocratique, et que, pour réagir contre l’esprit provincial toujours vivant, elle ait besoin d’étendre sur tout l’empire un immense réseau d’employés civils et militaires rattachés directement au trône. Non content de cette garantie, Pierre-le-Grand voulut encore assurer l’influence de la couronne sur les classes qui sont les plus indépendantes du pouvoir central, sur les propriétaires du sol et sur les marchands. Dans cette pensée, il créa une noblesse officielle, une noblesse de services, qu’il divisa en quatorze classes, et une bourgeoisie exclusivement marchande, qu’il gradua, suivant la somme d’argent déclarée par chaque membre, en six degrés ou ghildes.

Au-dessous des ghildes, Pierre ne reconnut plus aucun degré civique ;