Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/468

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chronique, trop pleine de détails, trop longue à dérouler à mesure que l’empire comptait plus de siècles d’existence, fit place à l’histoire qui condense les faits, les présente dans leur ensemble, aux annales telles qu’elles se formèrent sous le pinceau de Sse-ma-tsien, l’Hérodote de la Chine. Ce qui distingue les écrits de ce grand homme des travaux des chroniqueurs, c’est qu’il se livre à l’examen des faits et des doctrines ; ainsi, à la différence des lettrés exclusifs, il aime mieux discuter les philosophies hétérodoxes que de les considérer comme non avenues. Dans la vie pratique, cependant, il resta fidèle à cette raideur de caractère qui porta souvent les disciples de Confucius à ne jamais sacrifier leurs convictions aux faveurs impériales ; on sait par quel affreux supplice il expia l’entêtement ou le courage avec lequel il prit en main la défense d’un général coupable ou calomnié. On peut donc avoir confiance dans l’histoire d’un pays, quand elle est écrite par des hommes qui, tout en songeant aux siècles antérieurs, fixent sans cesse leurs regards sur la postérité.

Cependant une révolution s’était opérée dans les esprits, et cette renaissance ne tourna pas entièrement au profit des lettrés. La Chine traversait alors une de ces phases qui font époque dans la vie des nations, où l’on admet à peu près tout, où la curiosité l’emportant sur la prudence, on tolère, on encourage même, sous prétexte de s’instruire et d’examiner, ce qu’on eût rejeté dans des temps plus sévères. Il arrive même qu’en ces jours d’éclectisme on croit avoir fait assez pour la tradition si on lui témoigne un reste d’égards. On vit donc des empereurs sectateurs de Confucius sur le trône, disciples des Tao-sse dans la vie privée ; ce qui se passait à la cour devait se reproduire dans les diverses classes de la société. « Les grands, les hommes opulens, les femmes surtout, s’empressèrent d’embrasser la docdrine des Tao-sse ; la pratique des sortilèges, l’invocation des esprits, l’art de prédire l’avenir, firent de rapides progrès dans toutes les provinces. Les souverains eux-mêmes accréditèrent cette secte par leur exemple, et bientôt la cour fut remplie d’une foule innombrable de docteurs auxquels on avait décerné le titre de Tien-sse, docteurs célestes. »

Ainsi s’exprime l’abbé Grosier dans sa Description de la Chine ; cet état de choses se rapporte surtout au règne du grand empereur Wou-ty (140 à 86 avant Jésus-Christ). Ballotté entre les deux sectes, cet illustre monarque se laissa entraîner par les rêveries des Tao-sse, et crut racheter enfin ses folies en chassant ceux qu’il avait trop long-temps favorisés. L’influence des prétendus disciples du Tao allait