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de nouvelles calamités aux gens de lettres, en accordant des emplois aux eunuques. La gloire extérieure de l’empire développa, au sein de la capitale, un luxe et une magnificence qui corrompirent la nation en livrant la cour aux intrigues.

Le favoritisme grandissait autour du prince, et les lettrés, jaloux du pouvoir qu’ils voyaient s’avilir entre les mains de leurs indignes adversaires, entreprirent de couper le mal à sa racine. Ils conspirèrent contre les officiers du palais et s’organisèrent en sociétés secrètes. Une guerre en règle fut déclarée à la classe la plus distinguée, la plus honorable, la plus illustre de l’empire, par les gardiens du harem, devenus tout puissans pendant la minorité de Ling-ty, qu’ils gouvernaient à leur gré, et la régence de sa mère, esclave de leurs services. Pour lutter contre les lettrés, les eunuques se liguèrent avec les femmes du palais ; ils gardaient toutes les avenues du trône, et se tenaient cantonnés au fond des appartemens intérieurs, du gynécée, où personne n’avait le droit de pénétrer sans leur permission. Ce que les disciples de Confucius, en commun avec les anciennes familles, voulaient empêcher à tout prix, c’était que la Chine ne dégénérât, comme tant d’autres empires de l’Orient, en une monarchie sans règle, sans lois, sans traditions, où le mérite disparaîtrait devant la faveur, où le souverain séquestré par les eunuques, isolé par eux des grands personnages de la cour, n’aurait plus d’autre volonté que celle de ces esclaves arrogans.

Les Tao-sse n’avaient point cette noble préoccupation ; ils étaient sectaires avant tout ; le triomphe de leurs croyances les touchait plus que la gloire ou le repos de l’état. Une épidémie désastreuse ayant mis en vogue un de leurs docteurs qui prétendait guérir les malades, le fanatisme souleva les populations déjà mécontentes. Cinq cent mille hommes armés s’élancèrent sur les pas du médecin qui se posait en prophète et aspirait au trône. La guerre civile, tel fut le parti que prirent les sectateurs du Tao au milieu de cette crise terrible. Ce ne fut pas la seule fois qu’on les vit ainsi paraître aux époques des calamités publiques, s’agiter quand les lettrés perdaient de leur autorité, et éblouir la foule en proclamant des doctrines dont Lao-Tseu n’était pas responsable ; dès que le peuple souffrait, il cherchait auprès d’eux l’espérance que tout charlatan sait faire naître dans les cœurs malades.

La proscription décima bientôt les lettrés, car ils succombèrent dans la lutte, et le massacre des eunuques, qui vengea leur mémoire, ne put alors sauver la cause qu’ils avaient si noblement défendue. La confusion qui régna dans l’empire, après tant de désordres, fit passer