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Cependant l’exemple du monarque avait gagné toute sa cour ; quiconque voulait plaire imitait la galanterie de Versailles et l’outrait jusqu’à la briser ; le théâtre abondait en traductions du français, misérables parodies de la grace copiée par la licence. Le Bourgeois gentilhomme, imité par Ravenscroft, Amphitryon, par Dryden, donnent la nausée. On ose à peine redire ce qui se faisait alors à la cour de Charles II. La peinture de ces mœurs, telle que la plume fine de Hamilton l’a donnée, est singulièrement adoucie. La haute société vivait en général dans deux ménages, l’un légitime et oublié, l’autre illégitime et mobile : on connaissait cette fraction de la société contemporaine sous le beau nom de keeping part, ce qui ne peut guère se traduire. Le peuple croyait de bonne foi que c’étaient là les mœurs de la France, et les puritains détestaient, autant que les courtisans admiraient cette parodie de Louis XIV, un roi placé entre deux maîtresses qui n’avaient plus de beauté, l’une la duchesse de Cleveland, qui le trompait, l’autre la duchesse de Portsmouth (Mlle de Querouailies), qui le vendait.

Aussi, ne voit-on pas que ce mouvement ait pénétré bien loin dans la société anglaise, dont le fond et le centre résistaient avec une âpreté décisive, à l’inoculation maladroite de l’imitation française. La France, malgré l’aimable ambassadeur Mathieu Prior, ne goûtait pas davantage le peu qu’elle entrevoyait de l’Angleterre. En définitive, on se dénigrait, on se méprisait et l’on s’ignorait.

Tels étaient les rapports des deux peuples.

Au moment du triomphe calviniste en Angleterre, en 1688 seulement, la première infusion et le premier mélange du goût anglais se laissent pressentir en France, avec la cour de Saint-Germain, le triste Jacques il, ses fidèles Irlandais et Hamilton. C’est là le vrai point de jonction des deux sociétés rivales. Bolingbroke vient ensuite.

Un jour, dans le salon de Mme de Tencin, qui aspirait à la succession de Ninon de Lenclos, et que Dubois daignait alors protéger de son amour, on vit paraître au milieu des gens de plaisir et d’esprit qui le remplissaient un Anglais extraordinaire. Beau, de faciles manières, le vrai grand seigneur, leste dans ses discours, plus hardi dans sa galanterie que les jeunes ducs de la régence, plus profane que ce méchant Nocé[1], racontant bien, parlant philosophie mieux que Gassendi et impiété mieux que Chaulieu, doué de la faculté de séduire, de dominer et d’entraîner, il fût bientôt le maître de ce brillant mauvais lieu, que des aventures sanglantes rendirent célèbre plus tard, et

  1. V. Mémoires de Charlotte de Bavière.