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même par étages superposés. Néanmoins, c’est presque uniquement dans l’intérieur des édifices, avec une sorte de mystère et de timidité, comme à Saint-Martin de Laon, par exemple, que les innovations osent se produire. Il semble que cette prise de possession des monumens, par leur intérieur, soit une loi commune à toutes les époques de transition. Ainsi, lorsqu’au XVIe siècle l’ogive est à son tour abandonnée pour le plein cintre, c’est encore dans l’intérieur des édifices que se manifestent de préférence les premiers essais du nouveau style. Combien ne citerions-nous pas d’églises bâties à cette époque, particulièrement en Normandie, dont les fenêtres à ogives sont encore parsemées de meneaux flamboyans, tandis qu’à l’intérieur le ciseau de la renaissance s’est promené sur la pierre et l’a couverte de ses légères arabesques ! Le même fait s’était produit quatre siècles auparavant ; Voilà pourquoi nous trouvons tant d’églises qui, par leur aspect extérieur, semblent encore appartenir à la famille des édifices à plein cintre, tandis que leurs parois intérieures reposent sur deux rangées d’arcades aiguës. Il est vrai que, pour expliquer cette anomalie, on a prétendu que les croisés avaient trouvé, dans l’intérieur de l’église de Jérusalem, le tombeau du Sauveur entouré d’une colonnade à ogive, et que par un pieux souvenir nos constructeurs d’églises n’avaient d’abord songé à reproduire ce genre d’arcades qu’à la place qu’elles occupaient dans le lieu saint, c’est-à-dire dans l’intérieur des édifices[1]. Nous ne nous prononçons pas sur le mérite de cette explication ; nous constatons seulement comme un fait que, parmi les monumens de transition, ceux qui paraissent les plus anciens, et qu’on peut avec le plus de certitude faire remonter jusqu’à la première moitié du XIIe siècle, se distinguent assez généralement par cette circonstance, que l’ogive occupe en dedans une place de quelque importance, tandis qu’on l’aperçoit à peine au dehors.

Vers 1150, le nombre des monumens mi-partis va toujours en croissant, l’ogive se montre de plus en plus hardie, et il est bien peu de constructions, soit religieuses, soit civiles, où on ne la voie se mêler aux arcs semi-circulaires.

Enfin, après 1170 environ, l’emploi de l’ogive est devenu assez fréquent, assez habituel, non-seulement pour qu’il ne se construise plus un seul monument sans que cette forme y figure, mais pour qu’on commence à en construire où elle figure seule, à l’exclusion de toute autre forme architecturale. C’est là la dernière période de l’époque de

  1. Voyez le Voyage en Alsace de Schweighauser.