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auraient suffi pour balancer l’énorme influence dont les Anglais venaient de s’emparer à Lisbonne. L’Espagne demanda seulement pour ses nationaux le privilège dont jouissaient déjà les Hollandais, et que plus tard ont obtenu la France et l’Angleterre, le privilège d’être soumis à des juges spéciaux. C’est ici le commencement d’une question fort importante, qui maintenant même se débat entre le Portugal et l’Espagne, et que sont appelées à résoudre les cortès actuellement réunies à Lisbonne.

En résumé, on pourrait dire qu’à dater du dernier siècle les rapports ont complètement cessé entre l’Espagne et le Portugal. Maîtres absolus à Lisbonne, les Anglais interceptent toute communication aux frontières. Ce n’est point là une opinion exagérée, mais bien l’expression d’un fait rigoureusement historique. Si le Portugal est aujourd’hui sans routes, s’il est impossible d’y voyager, surtout dans les provinces qui avoisinent l’Espagne, sans courir le risque de mourir de faim, c’est aux Anglais qu’il faut s’en prendre ; ce sont eux qui l’ont voulu, ce sont eux qui ont détruit la navigation sur les fleuves portugais venant d’Espagne, le Duero, le Tage, la Guadiana. A diverses reprises, les maisons régnantes de Madrid et de Lisbonne contractèrent des alliances, mais de pures alliances de famille, sans caractère politique, et surtout ne changeant rien à la situation du commerce et de l’industrie chez les deux peuples. Il était d’autant plus facile aux Anglais de prévenir toute convention préjudiciable à leur propre commerce, que leur influence n’était pas moins prépondérante à Madrid qu’à Lisbonne dès les premières années du règne de Philippe V. La politique du régent et des ministres de Louis. XV, l’éloignement qu’avaient produit entre nous et nos voisins de petites intrigues de cour et les pitoyables ambitions dynastiques du prince français que nous venions de placer sur le trône de Charles-Quint, ne pouvaient entraîner évidemment qu’un tel résultat. Le Portugal devint une île véritable où l’Angleterre put tout à son aise introduire non-seulement ses marchandises, mais ses mœurs et jusqu’à ses moindres habitudes de la vie privée. Nous finirons par un trait qui fera nettement comprendre, en même temps que la domination de l’Angleterre, cette séparation absolue de l’Espagne et du Portugal. Les deux pays, qui par terre n’avaient plus aucune relation commerciale, en conservèrent un très petit nombre par mer ; ces relations, c’est l’Angleterre qui les tenait et les tient encore, pour ainsi dire, dans sa main à Gibraltar.

Cette situation déplorable, qui aujourd’hui même subsiste, les deux pays ne s’en sont guère inquiétés que depuis trois ou quatre ans environ. Jusqu’en 1840, les missions diplomatiques n’étaient confiées en Espagne qu’à de vieux seigneurs, fort préoccupés d’étiquette et ne plaçant l’intérêt politique de leur nation que dans ces banales démonstrations de bon vouloir et d’amitié, dans ces complimens stériles qui, de temps à autre, s’échangent entre les gouvernemens. En 1840, on demandait à l’un des derniers ambassadeurs d’Espagne à Paris, M. le marquis de Miraflores, où en pouvait être le commerce de son pays avec la France ; M. le marquis ne fut pas loin de considérer la question comme une sorte d’offense ; il répondit dédaigneusement