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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/70

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REVUE DES DEUX MONDES.

Cette différence est grave assurément ; mais suffit-elle pour nous empêcher de croire à la simultanéité des deux constructions ? Ne savons-nous pas combien cette époque de transition est tolérante ? N’arrive-t-il pas souvent que, dans le même lieu et au même moment, elle laisse vivre ensemble presque tous les styles à la fois ? Lors donc que la cathédrale de Noyon serait empreinte des caractères les plus prononcés de l’ancienne architecture, il ne faudrait pas croire absolument impossible qu’à quelques lieues de là, vers le même temps, il se fût élevé une autre cathédrale sous l’inspiration du système nouveau. Mais ici, notez-le bien, il n’est pas question de pareils contrastes. Nous l’avons déjà dit, malgré ses pleins cintres, malgré ses transsepts en hémicycle, malgré l’effort qu’elle semble faire pour se donner un air d’ancienneté, la cathédrale de Noyon n’est au fond qu’une église à ogive ; elle ne vit que de la vie nouvelle ; dans toutes ses nervures, dans tous ses rameaux de pierre, la sève qui circule, c’est la même sève qu’à Senlis. Ses arcades à plein cintre elles-mêmes n’ont du plein cintre que la forme ; elles n’en ont ni l’esprit, ni le caractère : ce sont des ogives arrondies. Aussi, quelque nombreuses que soient ces arcades, elles sont sans influence, elles modifient à peine l’aspect général du monument. Il semble que ce soit par une usurpation, ou plutôt à l’aide d’une concession bénévole, que le plein cintre soit admis dans cette église. Il y occupe plus que sa part légitime et naturelle. Sa présence y fait l’effet d’une fiction ou d’un anachronisme. Ainsi, vous le voyez, la différence entre nos deux cathédrales n’est pas aussi grande qu’elle en a l’air ; les deux constructions ne se distinguent par aucune diversité réelle et profonde. C’est le même principe qui les a créées ; rien ne nous défend donc de les croire contemporaines.

Mais d’où vient à Noyon ce respect pour le plein cintre ? Cette

    avec la cathédrale de Noyon, soit par la conception du plan, soit par la nature des profils et de toutes les particularités essentielles de la construction, qu’il n’est guère possible de ne pas les regarder comme à peu près contemporaines. Eh bien ! à Saint-Leu on ne trouve pas un seul plein cintre, ni au dedans ni au dehors de la nef et du chœur ; il n’en existe que sur la façade occidentale. C’est uniquement sur cette partie de l’édifice qu’il a été fait une concession à l’ancien style ; partout ailleurs il est exclu. Non-seulement le plein cintre n’apparaît pas dans l’église, mais il n’y est question ni de l’alternance des supports multiples et des supports cylindriques, ni des annelures, ni des transsepts arrondis. Tous ces souvenirs des anciennes traditions ne pénètrent pas à Saint-Leu, et néanmoins, entre Saint-Leu et Noyon, l’analogie est extraordinaire et leur contemporanéité est évidente. D’où vient donc qu’à Saint-Leu aussi bien qu’à Senlis on a, dans le même moment, suivi d’autres erremens qu’à Noyon ? C’est ce que nous essayons d’expliquer dans le paragraphe suivant. (Voir la note de la page 72.)