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a parfaitement fait de ne pas se laisser effrayer par les airs dédaigneux des aristarques du lundi : en accordant le fauteuil à M. Scribe, elle a tout bonnement donné sans pruderie un témoignage d’estime à l’homme qui a le plus spirituellement amusé son époque, ce qui après tout est quelque chose. Mais pourquoi l’Académie ne fait-elle pas pour M. de Balzac, par exemple, ce qu’elle a fait pour M. Scribe ? et comment a-t-elle le mauvais goût de préférer les trois petits volumes de contes de M. Mérimée aux tomes sans fin de la Comédie humaine ? Ce n’est pas nous qui serions embarrassé de l’expliquer. Pour être pris au sérieux en politique, il faut avant tout avoir ce que, dans le langage parlementaire, on appelle de la consistance ; de même en littérature. Là, une certaine tenue, une sorte de réserve de soi-même, sont également de rigueur ; il est un degré de versatilité et de désordre où le talent peut bien encore tenter quelque équipée heureuse dans le pays de la Bohème et des aventures, mais où les régions sereines et consacrées de l’art lui semblent à jamais closes. Peut-être est-ce là tout le secret de l’estime donnée, en certain lieu, à Colomba, au détriment de Modeste Mignon. Coteries, n’est-ce pas ? intrigues, déni de justice envers le génie, envie du succès, misères enfin que cela ! Aussi ne saurait-on trop répéter désormais que Molière et Lesage n’ont jamais été de l’Académie. Voilà plus d’un siècle, il est vrai, que les candidats éconduits se consolent avec cette aimable ritournelle. Qu’importe ? on se flatte après eux d’ajouter un nom à cette liste glorieuse qui compose l’académie refusée. Et d’ailleurs, comme la critique des journaux quotidiens s’est faite la complice, la vassale du roman-feuilleton, qui ne lui accorde plus que juste assez de place pour le louer lui-même, on est en mesure çà et là, de savourer, par compensation, quelque hymne laudative où l’Académie est menacée de mort prochaine. L’argument n’a pas précisément le mérite d’être neuf, et, depuis qu’on l’emploie, les quarante auraient eu le temps de renouveler bien des fois leurs funérailles. Quoi qu’il arrive, ce n’est pas le dernier récipiendaire qui leur servira de fossoyeur. Un choix si distingué et si vraiment littéraire honore, à notre gré, le tact de l’Académie.

M. Mérimée n’est pas un faiseur de feuilletons ; il ne laisse pas déchiqueter ses nouvelles au jour le jour, selon les besoins du prote, en longs fragmens quand les tribunaux se taisent, en petits chapitres quand les assises font concurrence au roman. Serait-ce là, par hasard, le secret de certaines hostilités mal déguisées ? M. Mérimée, il est vrai, n’a pas découvert le conte en dix, volumes ; est-ce pour cela