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tandis qu’en vraie byzantins nous sacrifiions tout à l’image et que nous passions le temps à damasquiner notre style, à brillanter nos périodes, il se contentait du nécessaire et préférait le burin au pinceau ; enfin, tandis que la plupart se perdaient dans des ambitions sans bornes et s’épuisaient à construire des tours de Babel littéraires, lui il circonscrivait son domaine, il se tenait heureux d’être l’un de nos conteurs les plus goûtés. Voilà comment M. Mérimée, au milieu des conflits d’école, sut se faire accepter de tout le monde et se rendre incontesté son art consista à mettre en relief les qualités excellentes qu’il avait et à ne jamais prétendre aux qualités qu’il n’avait pas. Sa réserve fit son originalité, sa prudence fit son succès.

Assurément M. Étienne est un homme d’esprit : tout le monde se souvient de sa vive et libérale polémique de la restauration. Comment la réponse qu’il a faite à M. Mérimée a-t-elle un peu trompé notre attente ? Des expressions vieillies s’y étaient glissées et on passait trop souvent des bruits du forum au poignard du fanatisme. M. Étienne, qui avait beaucoup connu Nodier, n’a rien trouvé à ajouter à ce que venait de raconter M. Mérimée qui ne l’avait jamais vu ; il s’est contenté de redire la même chose en moins bons termes. Ce morceau, où l’emphase n’est pas toujours évitée, ne rappelait guère, il en faut convenir, l’agréable discours de réception dans lequel l’honorable académicien avait avancé, et très spirituellement prouvé, il y a trente ans, que si l’histoire de France se perdait, on pourrait la reconstruire avec les comédies. Pourquoi M. Étienne n’a-t-il pas retrouvé seulement cette verve sobre et élégante qui, naguère encore, à l’inauguration de la statue de Molière, se distingua si heureusement de la harangue maussade et lourde de M. Arago ? Y aurait-il donc aussi pour l’esprit des modes qui vieillissent, et le don qu’eut Nodier de toujours rester jeune était-il une exception ? J’en veux douter, et je vais relire les Deux Gendres.


CHARLES LABITTE.