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La question du droit de visite a occupé le parlement anglais. La commission mixte a été regardée comme un expédient imaginé pour soutenir momentanément le cabinet français devant les chambres. Du reste, certaines paroles assez vagues de lord Russell pourraient faire supposer qu’il y a en ce moment, au-delà de la Manche, une opinion sage et vraiment libérale, qui placerait l’amitié de la France au-dessus du triste avantage de maintenir dans leur rigueur les traités de 1831 et de 1833. S’il en est ainsi, plaise à Dieu que cette opinion triomphe des préjugés qui l’entourent !

Si le ministère avait une grande confiance dans l’œuvre de la commission instituée pour chercher les moyens de supprimer la traite par des mesures plus efficaces que le droit de visite, aurait-il mis ces jours derniers une insistance si vive à faire inscrire le projet de loi des colonies à l’ordre du jour de la chambre des pairs ? Une forte minorité a réclamé l’ajournement indéfini de la discussion. Le ministère est averti. La chambre des pairs, d’accord avec le sentiment du pays, témoigne sur cette grave affaire un esprit de résistance qu’il sera difficile de vaincre.

On a reçu ces jours derniers des lettres de Macao qui donnent la traduction du traité que la France, représentée par M. de Lagrénée, ministre plénipotentiaire, vient de conclure avec la Chine. Ce traité, sauf quelques différences, reproduit les clauses des trois conventions passées avec l’Angleterre et du traité conclu avec les États-Unis. Il a été signé le 24 octobre, au soir, sur le bateau à vapeur l’Archimède, en rade de Whampoa, à dix ou onze milles de Canton. Le commissaire impérial Ki-ing s’est embarqué aussitôt après pour sa résidence, qu’il avait quittée depuis plus de six semaines. On raconte de singulières choses de ce voyage du commissaire impérial sur un bâtiment de guerre français. Ki-ing est un gros Tartare, de bonne mine, d’humeur très joviale, assez curieux et questionneur. Il était accompagné du trésorier de la province, nommé Wang, très bel homme, élégant et recherché, espèce de dandy chinois. L’orgueil du commissaire impérial, vice-roi de Canton, surintendant des cinq ports, a dû souffrir en acceptant la proposition qui lui a été faite de monter sur un bâtiment de guerre appartenant à des barbares. Cependant l’offre a été accueillie d’assez bonne grace. Le pavillon français est celui pour lequel les Chinois éprouvent le moins d’aversion. Ki-ing a été, dit-on, très frappé des mouvemens de la machine du bâtiment, et s’est donné le plaisir de l’arrêter deux fois en pleine marche. Il a témoigné d’abord son admiration et sa surprise ; puis, une teinte de mélancolie s’est répandue sur ses traits, et ses rares paroles ont porté l’empreinte de la tristesse. L’orgueil chinois avait repris le dessus ; la lutte entre l’homme éclairé qui admire l’œuvre de la civilisation et le Tartare dominé par les préjugés de sa race avait fini par le triomphe de ce dernier.

En vertu des clauses principales du traité, la France, quant aux droits de douane, est placée sur le pied des nations les plus favorisées ; le souverain du céleste empire ne pourra jamais lui imposer un tribut périodique ; elle pourra établir une factorerie à Canton ; elle pourra établir des comptoirs dans