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brouiller avec ses bons alliés de Lahore ; il fallait que Mohammed subît tous les sacrifices, abandonnât tous ses droits, et renvoyât le lieutenant Vicovitch le plus tôt et le plus poliment possible (with courtesy). Burnes discuta doucement et patiemment ces sévères conditions. Il gagnait même du terrain, et « les Afghans, disait-il, commençaient à prononcer le nom de Runjet-Singh avec le respect convenable, par égard du moins pour son excellence le gouverneur-général. » Tout d’un coup arrivent des lettres dépêchées par l’agent russe de Kandahar ; les négociations sont rompues ; Burnes se retire, comme s’était retiré M. M’Neill lorsque le comte Simonich était venu défaire en un moment toutes ses espérances de paix au camp d’Hérat. La Russie avait saisi l’instant favorable, et Burnes abandonnait son entreprise manquée, laissant Mohammed lui-même dans une grande consternation. « Il ne pourrait tenir un mois contre l’Angleterre, disait-il, et la pensée de lui déplaire le remplissait de terreur ; il n’ignorait pas que le maharajah Runjet-Singh était notre ami, et qu’il ne devait pas l’attaquer ; mais nous pouvions à notre volonté secourir Peschawer, sinon par les armes, du moins par de simples remontrances qui eussent contenu le roi de Lahore : au contraire, nous étions plus que jamais ses amis déclarés, et nous le préférions aux Afghans, qui se mettaient pourtant tout à notre service. » À coup sûr, ce n’étaient pas là les provocations d’un ennemi bien déterminé. Burnes lui-même, en s’en allant, ne croyait pas encore que les Afghans pussent jamais se jeter aux bras des Russes et s’unir aux Persans ; un pareil concert devait frapper d’horreur tous les Sunnites de Kaboul. (Lettre écrite de Jellalabad, 30 avril 1838.)

Il le fallait cependant, l’Angleterre en était dès-lors à déclarer la guerre. D’où lui venaient donc maintenant ces violentes résolutions ? et le gouverneur de l’Inde se voyait-il en un si grand danger ? L’Asie s’était-elle soulevée tout entière ? Les Persans avaient-ils pris Hérat ? Les Russes, Bockara et Khiva ? Non ; mais, comme le disait Burnes, « c’était seulement un capitaine de Cosaques qui, sans pompe ni cortége, avait galopé jusqu’au Kaboul. » Aussitôt on envoyait à Lahore le secrétaire-général de l’Inde pour négocier un traité contre le Baraksaïs (23 mai 1838), on écrivait au cabinet de Londres pour lui demander ses instructions suprêmes (22 mai), on envoyait jusqu’au littoral de Perse la flotte expéditionnaire qui prenait Karrack (20 juin), on concluait avec les Sykhs une alliance offensive pour coopérer avec eux au rétablissement de Shah-Soudjah, et remettre Kaboul sous leur