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y a quelques années, sans compter bien entendu qu’elle deviendrait si publique :

« Le principal effet des révolutions opérées avec des théories, c’est d’introduire dans les pays d’autres intérêts que ceux qui proviennent des causes et des nécessités purement locales. Les rapports des puissances de l’Europe ont changé de nos jours selon les principes sur lesquels chaque état a trouvé convenable d’appuyer sa forme particulière de gouvernement. La France et l’Angleterre, ces ennemies naturelles, se trouvent d’accord parce qu’elles représentent le système constitutionnel. La Prusse noue avec la Russie une liaison tout intime. Phénomène singulier ! mais puisque les états, au lieu de suivre la ligne politique tracée par leur position géographique et par leurs intérêts naturels, prennent désormais pour guides de leurs amitiés les doctrines qui président à leurs gouvernemens respectifs, on comprend que l’idée de la balance politique sur laquelle l’Europe reposait depuis si long-temps ait beaucoup perdu de sa valeur. Ainsi de notre temps une lutte contre la France et l’Angleterre aura toujours un double caractère. Ce n’est pas seulement une lutte contre la force militaire de l’ennemi, c’est une lutte contre la force morale qu’il puise dans ses principes politiques ; il s’agit de combattre d’une part les baïonnettes et les boulets, de l’autre les idées… Quelque déplorable que fût le triomphe des armées réunies de l’Angleterre et de la France, ce malheur ne serait rien à côté du triomphe bien autrement funeste de leurs principes constitutionnels[1]. »

La leçon est complète ; d’un côté comme de l’autre, il faut nous en souvenir : nos récentes discordes lui donnent trop d’à-propos.


ALEXANDRE THOMAS.

  1. Extrait d’une Note sur la situation présente et l’avenir de l’Allemagne, écrite en 1834 par ordre du cabinet de Saint-Pétersbourg, et communiquée confidentiellement à plusieurs gouvernemens de l’Allemagne ; chef-d’œuvre d’exactitude et de sagacité dans les appréciations politiques.