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conversion du roi, et l’on présenta comme une victoire ce qui n’était qu’une transaction. La ligue, qui avait été assez puissante pour amener le prince au but principal qu’elle s’était proposé, ne fut plus envisagée que comme une rébellion aussi odieuse dans son principe qu’impuissante dans ses efforts, et la solennelle protestation de tout un peuple devint une émeute que la magnanimité du monarque daignait pardonner au repentir des coupables. Plus une parole de liberté, plus un appel aux droits de la nation, plus un souvenir à ses vieilles franchises, sur ce sol que les plus audacieuses théories avaient naguère remué jusqu’aux abîmes. Au contrat immémorial passé entre la royauté franque et la nation, la conspiration des historiographes et des publicistes de cour substitua une sorte de droit absolu et surhumain, indépendant de toutes les lois comme de toutes les volontés populaires. La royauté se crut inviolable et consacrée jusque dans ses faiblesses et dans la légitimation de leurs fruits. Lorsqu’un double mariage avec l’Espagne eut infusé toute la froideur et toute la morgue castillane aux deux successeurs immédiats de Henri IV, en leur faisant perdre jusqu’aux dernières traces des populaires allures de leur ancêtre, il devint plus facile d’observer à nu le génie de cette royauté transfigurée, et de s’alarmer des destinées préparées pour la France et pour elle-même. Pendant que le pédantisme de Jacques Stuart formulait avec l’appui de l’anglicanisme épiscopal ce droit divin des rois, contrefaçon de la théocratie juive et de l’omnipotence païenne des Césars, l’épée du Béarnais, secondée par la ferveur royaliste des parlementaires et des docteurs gallicans, faisait prévaloir en France des doctrines analogues, et l’on entendait alors les beaux esprits répéter en chœur, comme un dogme non moins religieux que politique :

Les rois, enfans du ciel, sont de Dieu les images ;
Jupiter en prend cure et les garde d’outrages ;
Il les faict révérer, réputant les honneurs
Estre à lui-mesme faicts, qu’on rend à ses seigneurs[1].

Il y avait aussi près de là au mot : l’état, c’est moi, que de ce mot lui-même à une révolution. Enfin, lorsqu’on apprécie dans leurs conséquences dernières les grandes combinaisons européennes conçues par Henri IV, il est difficile de n’y pas voir une sorte de consécration du matérialisme politique et de l’anarchie religieuse qui consumaient les peuples. Une telle politique était nécessaire sans doute, car aucun lien moral ne les réunissait alors, et il était important que la

  1. Singeries de la Ligue, dédiées à MM. de Paris, par Jean de La Taille.