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seulement après 89, il s’est trouvé une plume pour calomnier ce peuple des campagnes, cette race forte, active, patiente, dont le poète allemand a chanté la détresse. Un pamphlétaire prétentieux a accumulé dans des pages sans vergogne je ne sais quelles horreurs nauséabondes ; il lui a paru piquant d’injurier en face cette société nouvelle qui est notre mère, et les efforts patiens des classes pauvres, et ce bienfait de l’égalité si chèrement conquis ; il a peint une réunion d’escrocs, une caverne de bandits, et cette belle œuvre, il l’a intitulée les Paysans. Je m’arrête : de tels outrages à l’esprit moderne, aux principes dont nous vivons, suffiraient pour décréditer l’écrivain qui s’en charge. On ne discute pas de telles inventions, on ne les réfute pas, mais on relit avec plus d’amour une strophe de Béranger, et, je rougis en traçant ces mots, là-bas, au-delà du Rhin, chez un peuple que nous précédions jadis, la ferme protestation d’un poète à peine connu en devient plus noble et plus belle.

Les pièces plus spécialement politiques se rencontrent en grand nombre dans le recueil de M. Freiligrath, mais elles sont de valeur fort inégale, et l’on regrette que l’auteur ne se soit pas appliqué plus souvent à présenter sa pensée sous cette forme vive et nette qui convient à son imagination. Dans la ballade, c’est un maître ; en général, il est moins à l’aise dans la haute poésie lyrique. Son haleine est courte ; l’enthousiasme de sa pensée n’est pas toujours assez vigoureux pour le soutenir long-temps dans ces périlleuses régions. Je signalerai toutefois plusieurs pièces vraiment belles. L’hymne intitulé la Liberté ! le Droit ! (Die Freiheit ! das Recht !) se recommande par le développement habile d’une noble idée. L’auteur n’est plus guidé par cette forme du récit, du tableau vif et dramatique où il excelle, et pourtant son inspiration, cette fois, n’a pas faibli. La manière dont il chante la liberté est sérieuse et pleine d’élévation. La liberté pour lui ne peut être séparée du droit. La liberté ! la justice ! il les aperçoit comme deux sœurs, deux compagnes célestes qui se tiennent par la main. Dès que l’une arrive, l’autre n’est pas loin ; dès que le sentiment du droit s’est emparé de la conscience d’un peuple, la liberté lui apparaît aussi et l’appelle. C’est pour cela que le poète est confiant et qu’il chante avec calme cette liberté tant désirée. Toutes ces idées sont nobles et sérieuses ; une pensée élevée et précise remplace ici les vagues déclamations, la rhétorique accoutumée des tribuns. Ce manifeste acquiert d’ailleurs une valeur nouvelle au milieu des pièces qui l’entourent ; on dirait le commentaire réfléchi et très poétique cependant de ces touchantes ballades où M. Freiligrath dénonçait une