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une ode très brillante de M. Herwegh, où le cri audacieux d’Ulric de Hutten est répété avec une émotion sincère et jeté fièrement à tous les échos. Ce voisinage est fâcheux cette fois pour M. Freiligrath, et s’il veut relire les vers de son jeune confrère, il comprendra toute la faute qu’il a commise.

Il a été moins malheureux peut-être dans une imitation de Goethe, dans cet intermède comique qu’il emprunte à Faust, et où il fait comparaître sous un masque railleur tous les hommes éminens que le roi de Prusse a rassemblés à Berlin. On sait que, dans le premier Faust, Goethe a chanté le Brocken et toutes les sorcelleries du moyen-âge, qu’il évoque sur la montagne endiablée. Après cette scène bizarre, après cette nuit de Walpürgis, commence un intermède satirique, un songe étrange, non pas le songe d’une nuit d’été, mais le songe de la nuit de Walpürgis. De petites épigrammes, finement aiguisées, sifflent de droite et de gauche comme des flèches ; poètes, artistes, philosophes, critiques, tous ceux que l’auteur a voulu désigner au ridicule, arrivent l’un après l’autre, disent un mot, et rentrent dans la foule. Ces rapides apparitions, ces marionnettes si tôt venues, si tôt disparues, forment une ronde très comique, qui s’agite au souffle de Titania, sous la fantastique direction de Pack et d’Ariel. Voilà la scène que M. Freiligrath a imitée, le cadre dont il s’empare pour y placer ses personnages. Titania, Puck et Ariel ont disparu, du moins sur le premier plan ; le maître des cérémonies, c’est le chat botté. M. Henri Blaze a ingénieusement remarqué que, dans l’intermède de Goethe, ces légères figures aériennes empruntées à Shakspeare, Ariel, Titania, servent à voiler, à tempérer, par l’idéal et la fantaisie, ce qu’il y a de trop cru, de trop réel, de trop prosaïque dans la satire ; ici, au contraire, en substituant à Titania le chat botté de M. Tieck, M. Freiligrath n’a rien voulu adoucir, et c’est de quoi nous pourrons le blâmer tout à l’heure. Voici donc le chat botté qui paraît et ouvre l’intermède ; le marquis de Carabas l’a envoyé pour amuser le souverain. Après lui, ce sont les maîtres de chapelle, M. Meyerbeer, M. Mendelsohn, et il s’agit d’organiser la fête. La fête sera complète : on aura Antigone, Médée, le Songe d’une nuit d’été, les Guêpes, les Captifs ; Sophocle, Euripide, Shakspeare, Aristophane et Plaute, toujours sous la direction du chat botté. « Les voici, dit le chat botté, le nord et le sud, le moderne et l’antique ; je vais mêler tout cela, un, deux, trois, comme un jeu de cartes. » Alors paraît Antigone, et elle prononce, les yeux baissés, un quatrain mélancolique ; puis vient un personnage de Shakspeare, qui lui offre