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émue, et Koenigsberg devient un des centres les plus actifs du progrès libéral. Aussitôt M. Edgar Bauer prend la parole, et, critiquant avec aigreur tout ce qui vient d’arriver, il disperserait volontiers, s’il y pouvait réussir, cette opposition si peu sûre d’elle-même. Or, ce qu’il a fait ainsi à Koenigsberg, il le fera demain à Carlsruhe, et après-demain à Cologne. Qu’est-ce à dire ? Quel est le but de M. Bauer et de ses amis ? Ils ont sans doute des théories beaucoup plus efficaces à proposer ! Ce dédain supérieur cache des desseins profonds ! Nous avons affaire à de grands politiques ! Que serait-ce si on ne trouvait là, en cherchant bien, que les rêveries prétentieuses et les bizarreries théologiques de la jeune école hégélienne ? Le bon sens de l’Allemagne résistera ; elle n’aura pas rompu avec ce mysticisme, qui la fascinait jadis, pour se livrer de nouveau à l’insatiable démon du vide. Malgré les attaques de cette singulière théologie républicaine, la véritable opposition doit continuer son œuvre. M. Edgar Bauer peut se croire très bien inspiré quand il poursuit de sa critique pédantesque tous les actes du parti constitutionnel ; sa prédication ne vaut rien, elle est à la fois trop violente et trop antipathique à l’esprit du monde moderne. En voulant allumer un incendie révolutionnaire, il souffle si fort sur cette lumière faible et vacillante, qu’il semble tout prêt à l’étouffer. Mais non, elle ne s’éteindra pas, cette flamme précieuse, elle grandira, comme ces feux qui, répétés de cime en cime, portent au loin une nouvelle de victoire. De l’Elbe jusqu’au Rhin, de Koenigsherg jusqu’à Cologne, les états provinciaux continueront de réclamer les sérieuses réformes qui doivent rompre les derniers liens du passé, et introduire décidément l’Allemagne dans les voies de la civilisation moderne.

Ces idées qui s’éclaircissent peu à peu, ces résolutions qui s’affermissent, ce mouvement enfin qui s’accroît, voilà ce qui a donné au livre de M. Freiligrath une importance inattendue. Toutes les fois qu’il a chanté ces sentimens vrais, ces désirs sincères, il a rencontré de nobles accens ; toutes les fois qu’il a touché avec un heureux instinct ces cordes si bien préparées, elles ont vibré harmonieusement. C’est l’opinion qui a fait parler le poète, et peut-être à son tour elle lui doit d’avoir mieux compris et plus ardemment aimé les principes qu’il a chantés. Est-ce assez cependant ? À cette pensée publique qui l’inspirait, le poète a-t-il rendu tout ce qu’il pouvait rendre ? Si la profession de foi de M. Freiligrath peut être regardée comme le manifeste d’un parti tout entier, il y a là encore bien de l’indécision. Des parties excellentes qui répondent franchement à des sentimens vivaces, et à côté de cela mille faiblesses, voilà ce livre. C’est par ces qualités et ces défauts, je le sais, qu’il exprime assez bien l’état présent des esprits.