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Ce fut donc en vain que nous leur offrîmes la douceur de nos mœurs et de nos lois, les avantages de notre civilisation ; il fallait des argumens plus persuasifs. Le gouverneur se décida à les envahir lui-même avec une colonne de 6 à 7 mille hommes ; mais, avant d’entreprendre cette expédition difficile, il échelonna les troupes qui restaient disponibles de manière à ce qu’elles pussent se porter le plus rapidement possible sur la frontière de l’ouest, si nous étions menacés de la guerre avec le Maroc.

Le 12 mai, le gouverneur, avec la moitié de ses forces, revenait de Dellys, où il avait été chercher un convoi que lui avaient apporté les bateaux à vapeur. Au moment où il allait traverser l’Oued-Sebaou, il fut attaqué par 12 mille Kabyles de la rive droite. Il jeta son convoi de l’autre côté, sous la garde d’un bataillon, et, ayant fait mettre sac à terre au reste de l’infanterie, il prit immédiatement l’offensive. Les Kabyles furent délogés de toutes leurs positions ; ils laissèrent 100 hommes sur le carreau, et furent mis dans une complète déroute.

Le gouverneur, ayant rejoint le reste de ses troupes à Bordj-el-Menaiel, remonta l’Oued-Sebaou, en longeant les montagnes des Flissa. A l’extrémité est de cette chaîne, il se trouva, le 16, en présence d’un gros rassemblement placé dans une position très forte, dont les abords étaient couverts par plusieurs redans successifs en pierre sèche. Dans une guerre ordinaire, il eût été prudent de ne pas attaquer un ennemi ainsi posté, de remettre le combat et chercher de meilleures circonstances en manœuvrant autour ; mais la puissance morale, si essentielle dans toutes les guerres, joue un rôle immense dans celle d’Afrique ; la moindre hésitation de notre part est considérée par les indigènes comme un échec pour nous, et le contre-coup s’en fait immédiatement ressentir sur les territoires déjà soumis. Nous sommes tenus de prouver en toute occasion qu’aucun obstacle ne peut nous arrêter.

Pénétré de cette grande nécessité, le général en chef décida l’attaque pour le lendemain de très grand matin. Plusieurs arêtes conduisaient à la crête de partage des eaux, où se trouvaient les principales forces de l’ennemi. On proposa d’attaquer en même temps plusieurs d’entre elles : « Non, répondit le gouverneur, nous aurions ainsi trois ou quatre combats de tête de colonnes à livrer, et par conséquent beaucoup plus d’hommes à perdre. Si l’une de ces attaques échouait, les troupes battues ne rallieraient pas les autres à cause des profonds ravins qui séparent les arêtes. Il vaut mieux monter par un seul point, et arriver tous ensemble à la ligne de partage ; là, je