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cette négociation ? Exposera-t-il les capitaux français aux dangers qu’elle renferme ? Verra-t-on se renouveler les déprédations qui ont été commises de 1823 à 1833 ? C’est une question de probité, de moralité publique. Sans doute, il y a des ménagemens à observer vis-à-vis d’une nation amie ; mais il est impossible que notre gouvernement reste neutre dans cette affaire, et regarde les bras croisés un gouvernement étranger opérer la ruine des spéculateurs français. La discussion, sur la demande de M. Garnier-Pagès, a été ajournée d’un commun accord ; elle sera reprise dès que la question aura été mûrement examinée par le ministère et par la chambre. D’ici là, M. le ministre des finances a pris l’engagement de ne pas permettre que le nouveau fonds fût coté à la bourse de Paris. Cette résolution provisoire, et le débat qui l’a précédée, auront du retentissement à Madrid. On doit présumer que l’initiative de la chambre a surpris le ministère dans cette circonstance et a dérangé ses plans.

Jamais jusqu’ici les chambres n’ont fait un si fréquent usage de leur initiative. Le nombre et l’importance des propositions qui, depuis quelques jours seulement, sont émanées de la puissance parlementaire, ont vraiment quelque chose de remarquable. Rien ne prouve plus clairement la faiblesse du pouvoir. Si les chambres gouvernent, c’est que le ministère abdique entre leurs mains. Ainsi, nous venons de voir M. Garnier-Pagès soulever incidemment une grave question de crédit public et de politique étrangère. Après lui, M. de Saint-Priest est venu annoncer des interpellations sur la conversion des rentes. D’un autre côté, M. Roger (du Loiret) propose de modifier plusieurs articles du code d’instruction criminelle, et sa proposition, que M. le garde des sceaux trouve inopportune, est prise en considération par la chambre. M. Duvergier de Hauranne a proposé de changer le mode de voter ; sa proposition, examinée par une commission, sera prochainement discutée. M. de Rémusat vient de lire sa proposition sur les incompatibilités ; la semaine prochaine, on la discutera. À la chambre des pairs, M. le comte Daru propose un ensemble de mesures destinées à réprimer les abus scandaleux qui se commettent dans les souscriptions de chemins de fer. Cette proposition est admise à l’unanimité. M. le ministre des travaux publics adhère lui-même à la plupart des opinions de l’honorable pair, et, pour excuser son silence sur un objet si important, il déclare qu’un projet de loi sur la matière allait être présenté, et que M. Daru a devancé la pensée da gouvernement. On peut répondre à M. Dumon que la pensée du ministère paraît généralement un peu lente à se former, puisqu’il arrive si fréquemment qu’on prenne les devans sur elle ; mais cela n’a rien d’étonnant. Que peut faire un cabinet dont l’existence est toujours menacée ? Peut-il avoir la confiance et la liberté d’esprit nécessaires pour user de son initiative ? Il voit le mal, mais il n’ose indiquer le remède ; il a peur des chambres, il craint toujours un échec dans la discussion.

Aux embarras qui surgissent de ces propositions, viennent se joindre d’autres difficultés. Les débats de l’an dernier sur les chemins de fer vont