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Bossuet, qui avait un autre idéal, donne une autre théorie. Où Fénelon recommande le simple, le naturel, l’aimable, Bossuet veut la grandeur des pensées et la majesté du style[1]. Si la première théorie sent le désir de plaire, et vient d’un homme qui avait tout conquis par l’influence sur les personnes et par la conversation, la seconde sied bien à un homme qui avait fait sa fortune par la chaire et en parlant au nom de quelque chose de plus grand que lui.

Le caractère de la critique dans ces opuscules de Fénelon, c’est que les écrits n’y sont jugés que dans leurs rapports avec les actions. Quant à cette sorte de scolastique littéraire, née de la mauvaise fertilité des derniers temps, qui distingue le fond de la forme, l’art de son objet, l’écrivain de l’homme, elle ne trouverait pas dans Fénelon autorité pour un seul de ces principes d’invention récente qui ont corrompu le goût de notre nation. L’écrivain n’est pour Fénelon que l’honnête homme qui excelle à bien dire, et ne s’adresse, dans le lecteur, qu’à l’honnête homme qui cherche le vrai pour s’y conformer. Il aime les lettres pour leur influence bienfaisante. Il est plein de vues sur les qualités et les effets des ouvrages de l’esprit, et de jugemens délicats et profonds sur tous ceux qui nous servent de modèles. Voici des traits qu’on ne trouve que dans Fénelon. Parlant de Démosthène, « il se sert de sa parole, dit-il, comme un homme modeste se sert de son habit pour se couvrir. » Image à la fois sévère et aimable qui devrait être toujours présente à ceux qui manient la parole ou la plume. Un écrit qui ne persuade pas quelque vérité ou ne redresse pas quelque erreur, une peinture qui ne fait pas aimer le beau ou haïr le laid, un ouvrage d’esprit où l’auteur ne communique pas avec le lecteur par la meilleure partie de lui-même, n’est qu’une production méprisable ou un vain jeu d’esprit.

Il est temps d’en venir au titre le plus populaire de Fénelon, au Télémaque. Cette théorie du simple, du naturel, de l’aimable, c’est là qu’il l’a réalisée. De tous les ouvrages écrits dans notre langue, celui-là est peut-être le plus aimable.

Il fut composé de 1693 à 1691, et il eut tout d’abord le malheur d’être trop admiré par les étrangers. Les rois qui faisaient la guerre à Louis XIV trouvèrent beau de l’insulter par l’affectation de leurs égards pour Fénelon, et de leur admiration pour le Télémaque. Il

  1. Dans son discours de réception à l’Académie française, à l’endroit où il parle si magnifiquement de la langue française, on trouve jusqu’à trois fois en quelques lignes les mots majesté et majestueux.