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moyen de 36,000 expositions annuelles. Un tel résultat ne doit pas nous étonner. Où ces malheureux prendraient-ils envers leurs nouveau-nés des sentimens et des soins qu’on n’a pas eus pour leur enfance ? Les sentimens du cœur se correspondent, et l’on donne, aux autres selon que l’on a reçu soi-même. La fille qui n’a point connu sa mère ne tiendra pas beaucoup de son côté à connaître son enfant et à le garder auprès d’elle. L’exposition crée de la sorte des êtres sans solidarité morale. Cette indifférence transmise contribue énormément à perpétuer, surtout dans nos grandes villes, une population d’hommes et de femmes qui, privés de famille à leur naissance, se croient délivrés ensuite de l’obligation d’en élever une. Diminuer le nombre des enfans trouvés, ce serait diminuer en même temps le nombre de ces parens dénaturés.

Nous sommes ramenés ainsi à la nécessité d’une lutte à la fois énergique et prudente contre les seules causes d’exposition que l’on puisse se flatter de détruire. Ces causes, l’administration ne les a qu’imparfaitement connues jusqu’à ce jour. Il y a dans le cœur de l’homme et surtout dans celui de la femme mille nuances délicates que la statistique ne saura jamais atteindre ni fixer. Il est donc nécessaire d’employer des moyens de contrôle plus subtils. L’analyse morale, le raisonnement, l’observation personnelle des faits, tels sont les fils conducteurs qui nous paraissent mener plus directement, et comme par un chemin de traverse, à la connaissance des causes de l’exposition dans les grandes villes.

Nous diviserons ces causes en deux classes selon le caractère des influences auxquelles la mère obéit : tantôt sa volonté nous apparaît comme enchaînée par une nécessité impérieuse ; la crainte du déshonneur, le désordre, la misère, ont triomphé de l’amour maternel ; tantôt à côté de la nécessité se place une autre influence. Des conseils, d’odieuses menaces, en un mot l’action intelligente d’une volonté perverse remplace ou fortifie vis-à-vis de la mère l’action fatale des évènemens. Suivant MM. Terme et Montfalcon, les expositions dont la crainte du déshonneur a été le seul motif figurent pour un chiffre bien minime dans la somme totale des abandons d’enfans. Un prêtre que les fonctions de son ministère ont mis à même d’observer les faits de plus près, l’abbé Gaillard, croit au contraire que le sentiment de la honte est une des influences qui enlèvent le plus d’enfans à leurs mères. La statistique nous dit en effet que les expositions sont plus nombreuses, toutes choses égales d’ailleurs, dans les endroits où les mœurs sont plus sévères, et qu’elles diminuent dans les pays où les