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comprendre qu’au couvent les distractions les plus insignifiantes ne sont pas à dédaigner.

C’était aussi l’heure à laquelle les religieuses prenaient leur récréation. Elles étaient réunies dans une salle qu’on appelait la promenade d’hiver, et qui s’ouvrait sur le jardin. Cette pièce était encore plus simplement décorée que le parloir de la supérieure ; l’ameublement, qui déjà avait servi à plusieurs générations de recluses, se composait d’une longue table massive et de quelques bancs de bois de chêne disposés contre les murs. Une espèce de chaire marquait la place réservée de la supérieure ; mais ce siège particulier n’était ni plus douillet ni plus commode que les bancs des religieuses, et l’on ne devait pas reposer mollement sur ce solide tabouret, qui pourtant représentait un trône, le trône d’une souveraine absolue dans son étroit empire. Des rideaux de toile claire garnissaient les fenêtres et laissaient apercevoir le jardin. De ce côté-là, non plus, la perspective n’était pas extrêmement riante ; les murs, dont la hauteur dépassait celle des maisons voisines, formaient une enceinte régulière, au centre de laquelle un bassin d’eau verdâtre figurait une fontaine. Deux allées de tilleuls tortus et rabougris s’allongeaient parallèlement jusqu’au fond du jardin, semblables à deux rangées de balais renversés, et il n’y avait pas un seul brin de verdure dans le grand espace carré qu’on appelait le parterre. De loin en loin, contre le mur de clôture, il y avait des espèces de niches en rocaille, ornées de statuettes en piètre et de guirlandes de coquillages ; c’étaient des oratoires élevés par les religieuses, et qu’elles paraient au printemps des languissantes fleurs qui s’épanouissaient dans leur jardin.

Lorsque la mère Angélique parut, suivie de Mlle de Colobrières, à l’entrée de la promenade d’hiver, toutes les conversations cessèrent, tous les regards se tournèrent vers la nouvelle venue avec un curieux empressement, et la communauté attendit, debout, dans un respectueux silence, les paroles de la supérieure. Celle-ci s’avança lentement jusqu’à sa place ; son beau visage avait une expression de sévère douceur, d’austère sérénité, dont l’ascendant était irrésistible. On voyait qu’elle avait conscience de la domination absolue qu’elle exerçait également sur ces esprits timides ou résolus, sur ces âmes abattues ou exaltées, satisfaites ou souffrantes, sur toutes ces natures assouplies et domptées, du moins en apparence, par la religion.

— Mes chères sœurs, dit-elle d’une voix grave et douce, voici la nouvelle ouaille que le Seigneur joint à son troupeau. Comme ma