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de s’y opposer, et de contraindre les nobles à faire supporter la corvée à leurs serfs. C’est d’ailleurs, et nous l’avons déjà prouvé[1], ce qu’elle fait depuis dix ans.

Je demande maintenant à tout homme de bonne foi s’il y a du communisme dans les conclusions qui terminent le manifeste incriminé : « Polonais, plus d’aristocratie, plus de privilèges d’aucun genre ! Dès ce moment nous sommes tous égaux, puisque nous sommes tous enfans d’une seule mère, la patrie, et d’un seul père, le Dieu qui règne au ciel. Invoquons-le, il nous bénira et nous fera vaincre. Nous sommes vingt millions, levons-nous comme un seul homme, et nous aurons une liberté comme il n’y en a encore jamais eu sur la terre. » C’est un grand, un vif enthousiasme qui a dicté ces dernières paroles, mais cet enthousiasme n’a rien d’anti-social ; il prouve, chez les insurgés, un noble désir d’associer leur cause à celle de tous les peuples. Que les Slaves veuillent conquérir un système de liberté plus large que celui de l’Europe constitutionnelle, qu’ils veuillent dilater ce vieux système en y faisant entrer l’idée slave comme auxiliaire de l’idée française, est donc là un crime ?

Les Slaves de tous les pays sont convaincus qu’ils ne peuvent s’affranchir qu’à l’aide d’un nouveau 89. Leur noblesse désire prendre l’initiative de cette révolution, qui doit être à la fois sociale et politique ; elle veut l’accomplir généreusement, en descendant vers les classes inférieures, ou plutôt en les élevant toutes jusqu’à elle. Elle entend que la révolution slave différera de celle de France sur ce point, qu’au lieu de laisser la bourgeoisie et le tiers-état commencer, comme lors du serment du jeu de paume, les nobles et les prêtres commenceront, et marcheront en avant du peuple. C’est malheureusement ce que n’a pas compris le paysan polonais. Dans l’ignorance profonde où le maintiennent forcément ses oppresseurs, il n’a pas su distinguer le langage franc de ses gentilshommes d’avec le langage empoisonné des agens provocateurs. Il a donc partout répondu par la défiance au cri insurrectionnel des nobles.

L’explosion a été par là, sinon étouffée, du moins considérablement amortie. L’Autriche a profité du premier moment de terreur pour répandre partout les accusations les plus absurdes, et, voyant qu’elles trouvaient créance, le cabinet impérial a lancé enfin dans la plus grande partie de la Gallicie des proclamations qui assimilaient aux

  1. Voyez, dans la livraison du 15 août 1845, l’article sur les Diètes slaves et le Mouvement unitaire de l’Europe orientale.