Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/1128

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

refusé, et que ceux qu’on lui a fait égorger étaient ses meilleurs amis, c’est alors que le communisme pourra bien déborder dans toute sa fureur, et qu’il faudra crier grace pour les employés autrichiens qui se trouveront en pays slave, car ce sera aussi la terrible justice du peuple qui s’accomplira sur eux.

Supposerait-on peut-être que l’Autriche accordera aux paysans les avantages qu’elle leur a promis pour les soulever contre les nobles ? Supposerait-on qu’elle se fera démocratique ? Un tel sacrifice de sa part ne changerait pas la situation. Derrière les cadavres de ces gentilshommes qu’elle a fait massacrer, et dont les pères avaient jadis, par leurs malheureuses dissensions, causé le démembrement de leur patrie ; derrière le tombeau de la noblesse de Pologne, il y a encore la nation polonaise tout entière. Les rendît-on citoyens, les paysans polonais n’en seraient pas moins des Polonais. Affranchis, ils n’en deviendraient que plus ardens à revendiquer contre l’Autriche une nationalité dont ils sentiraient davantage le prix. Ayant dès-lors à choisir entre leur langue et celle d’un peuple étranger (fût-il ami), entre leur patrie et la patrie allemande, croit-on que ces Slaves libres se feraient Allemands ? Il faudrait être bien crédule pour l’espérer.

Cette fameuse loi agraire que le cabinet de Vienne, à en croire ses amis, va publier pour calmer les mécontens, cette loi n’est pas nouvelle, elle a déjà été appliquée sur divers points de l’empire. Elle consiste à grouper des familles pauvres sur un terrain de la couronne, autour d’une ferme qu’elles sont censées posséder collectivement, et qu’elles doivent exploiter d’après le système de la grande culture, c’est-à-dire que ces propriétés collectives ne peuvent être aliénées ; elles forment autant de majorats dépendans de l’état, administrés chacun par un chef qui doit toujours être l’aîné de la famille, et qui distribue à ses cadets leur part des labeurs et des profits communs, suivant un tarif qui est censé fixé par l’état. Voilà la loi agraire autrichienne ; nous doutons qu’elle séduise les Slaves.

Ainsi l’insurrection actuelle, même vaincue, lègue aux Slaves un principe de force, à l’Autriche un germe d’affaiblissement. Le gouvernement autrichien a porté, par les massacres de Tarnow, une profonde atteinte à son autorité morale, au moment même où l’insurrection slave établissait la sienne sur une base inébranlable dans son manifeste du 22 février. En vendant aux serfs ses plus nobles sujets à 25 francs par tête, l’Autriche, qui se proclame dans ses codes une monarchie aristocratique, a renié ouvertement son principe et ses plus vieilles traditions. Par son héroïque dévouement, la noblesse de