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lui. » En 1837, Pertaub-Sing insiste près du lieutenant-colonel Ovans, nouveau résident à la cour de Sattara, et l’un des membres de la commission, afin que remise lui soit faite de ces copies ; pour toute réponse, le lieutenant-colonel Ovans répond que « l’enquête a été secrète, le résultat des témoignages tenu secret aussi, et que, par conséquent, les pièces ne peuvent être remises à l’accusé ! »

En 1838, deux nouvelles accusations monstrueuses et grotesques pèsent sur ce raja, qu’on avait naguère proposé pour modèle à tous les princes de l’Inde. 1° Il avait conspiré avec don Manoel de Castro, gouverneur de Goa, qui devait lui amener de Portugal trente mille hommes (et où les aurait-il pris ?), pour l’aider à chasser les Anglais de leurs possessions. 2° Il s’était entendu avec Moodhojee-Bhonsleh, souverain de Nagpore, royaume des Mahrattes du nord, pour engager la Turquie à laisser passer sur son territoire une armée russe qui eût envahi l’Inde. Il a même été dit quelque part que quinze mille soldats français et un nombre effrayant d’élèves de l’École Polytechnique devaient voler au secours de ce raja, dont on ne soupçonnait guère l’existence à Paris ! Les autorités britanniques accueillirent avec une incroyable niaiserie ou plutôt avec une perfidie inqualifiable ces absurdes rumeurs. Non-seulement on ne produisait aucune preuve de ces deux conspirations dérisoires, mais encore le raja n’a jamais été informé de l’existence de ces deux nouveaux chefs d’accusation.

La perte de ce malheureux prince était arrêtée, ou du moins consommée. En 1839, il reçut l’ordre de se présenter devant sir James Rivett Carnac, alors gouverneur de Bombay, à Sattara même, et là on lui remit, non pas les copies demandées avec tant d’instance, mais un papier par lequel il était requis de se reconnaître coupable d’avoir entretenu des relations hostiles au gouvernement britannique. Cet aveu lui eût conservé son trône, on le lui promettait du moins. Pertaub-Sing se contenta de répondre avec indignation : « Le gouvernement britannique m’a donné le territoire sur lequel je règne, il peut me l’ôter ; mais il y a deux choses que je ne ferai jamais à sa requête : renoncer à ma religion et confesser que j’ai violé mes engagemens envers lui. » Là-dessus, Pertaub-Sing fut détrôné et dépouillé de ses propriétés particulières.

Certes, voilà un acte de justice tout-à-fait oriental ; aussi fut-il assez mal accueilli en Angleterre, dans l’Inde même. Lord Auckland et sir Robert Grant, l’un gouverneur-général, et l’autre gouverneur de Bombay au temps de cette catastrophe, se sont exprimés sur les détails de cette affaire, à plusieurs reprises, d’une façon non équivoque ; ils ont déclaré qu’il était impossible de savoir si le raja était véritablement coupable tant qu’on ne lui aurait pas remis entre les mains les pièces de l’accusation, tant qu’on n’aurait pas reçu de lui des réponses écrites sur les diverses charges accumulées contre lui. N’est-ce pas avouer, en d’autres termes, qu’on a condamné Pertaub-Sing sans l’entendre, sans même l’instruire suffisamment des premières dépositions